Chapitre 7
Rilin regagna ses appartements, perdus dans des pensées et des souvenirs le plongeant dans une profonde mélancolie et dans le chagrin qui ne le quittait jamais réellement.
Il tourna la poignée en argent et entra dans sa chambre. Aussi luxueuse que celle de Dévlin et Negg, elle était meublée d'un large lit aux pieds élégamment arqués, d'une commode incrustée de cristal coloré, d'un divan prune assorti à un profond fauteuil, d'une grande étagère et d'un âtre en marbre gris. Toutes les surfaces disponibles étaient recouvertes de livres ouverts et pour la plupart anciens.
Rilin en déplaça quelques uns pour dégager le fauteuil et pouvoir s'y asseoir. Il se prit la tête dans les mains en inspirant profondément. Il avait besoin de se préparer avant d'appeler ses pouvoirs.
Il n'avait pas besoin de chercher un esprit coopératif durant des heures, il savait qu'il n'en trouverait aucun disposé à gagner Welkonn. C'était aussi inutile puisqu'il savait parfaitement lequel invoquer. Pas besoin qu'il y ait une âme errante dans les parages ou de se trouver sur une tombe pour faire apparaître un fantôme. Posséder un objet ayant appartenu à un défunt était suffisant et Rilin avait cela sur lui.
Il retira la fine chaîne à laquelle pendait ses cinq insignes et la posa sur l'accoudoir du fauteuil. Il inspira à nouveau pour se donner du courage et la force de continuer. De sous son col, il sortit un cordon de cuir noir où était passée une alliance en fer blanc. Rilin n'avait pas eu suffisamment d'argent pour acheter un anneau de meilleure qualité.
Le magicien détacha la cordelette et serra la bague dans sa paume alors qu'il se concentrait en invoquant une partie de sa magie et que les larmes qu'il retenait un peu plus tôt roulaient sur ses joues. Ça faisait un an qu'il n'avait pas fait cela, il lui avait promis d'arrêter mais, comme il s'agissait d'un contexte particulier, il ne trahissait pas sa parole.
Magicien puissant, il n'avait pas besoin de rituel, seulement de concentration.
La chaleur de la pièce chuta brusquement et un frisson remonta le long de l'échine de Rilin mais il avait l'habitude et il n'était plus dérangé par ce froid depuis le temps. Il répéta son incantation sans s'arrêter ni hésiter.
Peu à peu, une brume légèrement luminescente s'éleva du sol en marbre bleu clair. Elle se condensa en tourbillonnant sur elle-même puis elle commença à se modeler, prenant peu à peu la forme d'une silhouette humaine. Celle-ci se précisa. La taille s'affina, les hanches s'élargirent, la poitrine s'arrondit, les cheveux frisèrent et les traits du visage apparurent jusqu'à ce qu'une jeune femme d'une trentaine d'années se tienne dans la pièce.
Elle sourit tendrement à Rilin mais son regard reflétait à la fois du reproche et de la tristesse.
Elle réprimanda doucement le magicien :
« Rilin, tu m'avais pourtant promis.
- Je sais mais j'ai une bonne raison de t'appeler. Je t'expliquerai mais laisse-moi te regarder avant.
Cilisse sourit à nouveau.
Avant qu'il ne parte en exile dans le désert de Soow, elle avait fait promettre à son époux de ne plus l'invoquer car elle savait que cela le faisait trop souffrir de la voir et l'empêchait également d'avancer dans son existence mais elle lui permit tout de même de la contempler. Il avait tenu sa promesse durant une année, il méritait ce petit cadeau et elle aussi était heureuse de le revoir. Il lui manquait également là où elle se trouvait.
De ses yeux translucides, qui avaient un jour été d'un bleu pastel, elle détailla Rilin et ce qu'elle constata la rassura. Le magicien lui semblait moins fatigué, moins éprouvé par la vie, moins torturé mais son regard était toujours hanté par ce perpétuel chagrin.
L'esprit de la jeune femme examina également la pièce dans laquelle ils se trouvaient et la tenue de son époux. Ça n'avait rien à voir avec les ruines dans lesquelles il se terrait il y avait un an ni avec les vieux vêtements usés qu'il portait lors de leur dernière entrevue.
Cilisse remarqua :
- J'ai l'impression que ta situation s'est amélioré. C'est bien.
- Dommage que je ne puisse pas partager tout cela avec toi, mon amour, mais il est vrai que j'ai beaucoup de choses à te raconter.
Un éclat intrigué éclaira le visage de Cilisse. Elle était pressée de connaître les explications de Rilin ainsi que la raison importante pour laquelle il l'avait appelée et elle avait toujours aimé l'écouter parler, même lorsqu'elle ne comprenait pas parfaitement les propos qu'il tenait, au sujet de la magie notamment.
Rilin commença à faire le récit de sa traversée du désert, de sa découverte d'Arancha et de ce qui en avait résulté.
À la fin, Cilisse rit d'un rire léger qui fut comme un coup de poignard en plein cœur pour Rilin tant ce rire lui manquait.
- Qui aurait pensé que tu arriverais là lorsque j'ai failli t'écraser sous cette caisse de poissons sur le port d'Igga ?
- Pas grand monde...
Cilisse caressa la joue de Rilin qui ne sentit rien de plus qu'un courant d'air contre sa peau.
L'esprit demanda :
- Pourquoi m'as-tu appelée ? Tu m'as dit que c'était important.
- J'aurais besoin que tu transportes un message à Welkonn. Je sais qu'aucun fantôme d'ici ne le ferait. Je n'ai que toi pour le faire.
- Je m'en chargerai mais tu ne devras plus me faire revenir une fois que je serai de retour.
- Je te l'ai déjà promis mais je me répéterai si tu le veux.
Cilisse sourit à nouveau en hochant la tête, soulagée par ces mots et sachant que Rilin ne lui mentirait pas.
Elle cligna des paupières, le regard soudain embué. Elle ignorait que les esprits pouvaient pleurer. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, il n'y avait pas que pour Rilin que la séparation était douloureuse.
La jeune femme décédée se força à chasser ces pensées et elle se renseigna, préférant se concentrer sur la tâche que lui confiait Rilin :
- Que dois-je dire à qui ?
Rilin se passa une main dans les cheveux, sachant que sa réponse soulèverait des questions auxquelles il ne pourrait fournir d'explications puisque, à part le message et le nom du destinataire, Leïmy ne lui avait rien dit et il n'avait pas insisté.
Il se contenta donc de lui transmettre :
- Il faut que tu parles à Leïje, c'est un voleur. Il porte toujours un long manteau bleu. Il doit trouver Iphamme. Elle doit aider Leïmy. Elle lui conseille de commencer ses recherches au mont Kieff. »
Contrairement à ce à quoi s'attendait Rilin, Cilisse ne demanda pas plus de précisions. Après tout, toutes ces affaires ne la concernaient plus, elle était morte depuis plusieurs années déjà.
Elle sourit encore à son époux puis elle se volatilisa, gagnant Welkonn à une vitesse phénoménale.
Rilin se laissa glisser du fauteuil, se recroquevillant sur le sol de la pièce qui avait repris sa température normale. Ses mains plaquées sur son visage ne suffirent pas à étouffer ses sanglots douloureux.
***
Icrann poussa un lourd soupir de lassitude. Il s'ennuyait et le moins que l'on pouvait dire était qu'il ne se sentait pas à sa place dans ce palais, cette ville, ce désert. Il était marin et son environnement "naturel" était l'océan mais ici, il n'y avait que le sable. Il préférait évidemment le confort qu'on lui offrait que la marche tortionnaire sous les rayons brûlants du désert mais il ne savait que faire.
Il errait sans but à travers les couloirs ou dans les jardins. Il avait choisi de ne pas se mêler des discussions politiques et être simplement traité comme un habitant normal mais les regards qu'on lui jetait lorsqu'on le croisait lui montraient que c'était impossible.
Quant à Batquisse, il ne lui était pas d'une grande distraction. L'ancien capitaine passait son temps à lire et Icrann ne faisait que l'entrapercevoir de temps à autres. Il n'y avait pas à dire, le second se sentait vraiment seul et désœuvré. Sans compter que, n'ayant aucun pouvoir, il n'était guère considéré par les personnes peuplant le palais.
« Bonjour.
Le salua une voix enjouée, le faisant sursauter et le tirant de ses pensées.
Installé sur un banc sous les arbres, il n'avait entendu personne approcher. Il se retourna et détailla la jeune femme en tunique jaune et aux cheveux rebiquant entre le blond et le châtains clair.
Iléany lui souriait. Elle tenait ce qui ressemblait à une guitare mais en plus petit et avec une caisse de résonance ronde.
La jeune femme reprit :
- Vous êtes à ma place habituelle.
- Oh, veuillez m'excuser.
Icrann se leva pour céder sa place à Iléany.
Cette dernière l'attrapa par le bras pour le retenir et le força à se rasseoir.
- Je sais que vous êtes grand mais il y a suffisamment de place pour nous deux.
- C'est que...j'ai remarqué que les gens d'ici n'aiment pas être en ma compagnie.
- Et ça ne vous énerve pas ?
Icrann haussa les épaules. Il n'était jamais en colère et toujours posé. C'était d'ailleurs grâce à ce caractère calme qu'il avait échappé à l'enchantement des sirènes et qu'il avait pu seconder Leïmy dans le combat.
Il leva la tête, contemplant les motifs que dessinait le vent dans les feuilles des arbres en soufflant dedans.
Iléany posa son instrument sur ses genoux et passa les doigts sur les cordes, faisant s'envoler quelques notes légères.
Icrann revint poser son regard sur la jeune femme. Cette dernière cessa de jouer la mélodie à peine entamée pour examiner le colosse. Gêné, Icrann se détourna.
- Vous n'avez pas d'insigne, fit remarquer Iléany. Est-ce parce que, comme moi, vous détestez être rangé dans un case ou bien parce que vous n'avez pas de pouvoirs ?
- Deuxième possibilité. J'ai cru que c'était rare chez vous mais pas chez moi.
- Ce n'est pas tellement que c'est incroyablement rare mais plutôt que ces personnes sans pouvoirs, comme vous, n'ont pas de responsabilités à Arancha, ni beaucoup de droits non plus.
- Vraiment ? S'offusqua Icrann.
- Oui. C'est en grande partie ce qui déplaît à ceux qui partent pour devenir Itinérants, ce qui me déplaît.
- Alors pourquoi restez-vous ?
- Car je n'ai pas le choix. J'ai un rôle trop important et que personne ne peut remplir à part moi.
Icrann leva un sourcil, intrigué par cette explication floue mais Iléany se contenta d'un sourire résigné, et non plus enjoué, sans apporter davantage de précisions à sa réponse.
Elle se concentra sur la musique qu'elle avait l'intention de jouer en venant ici mais elle ne produisit pas plus de trois notes avant de s'interrompre pour se tourner encore vers Icrann. Finalement, elle avait plutôt envie de discuter avec cette homme qui venait d'un autre monde.
Enthousiasmée par ce que se présentait comme un nouvel horizon pour elle, elle interrogea Icrann qui n'était pas mécontent de se voir manifester un peu d'intérêt :
- Et à Welkonn, comment ça fonctionne pour les personnes qui n'ont pas de pouvoirs ou qui en ont ?
- La plupart des magiciens se forment à l'Académie de magie et après, le plus souvent ils travaillent soit pour le Conseil, soit pour les gouverneurs des différentes villes ou encore pour de grandes familles mais ils ne sont pas obligés. Ils peuvent tous faire le métier qu'ils souhaitent. Il est vrai que la plupart des aristocrates sont magiciens mais, sinon, il n'y a pas particulièrement de privilèges au détriment des autres.
- Ce doit être fantastique ! Je suppose que n'êtes pas non plus forcés de montrer à tous de quelle magie vous êtes porteurs.
- Non, en effet.
- J'aimerais vivre dans un endroit où nous ne sommes pas étranglés par les règles.
- Peut-être ne sont-elles pas suffisamment strictes là d'où je viens. Il y a beaucoup de criminels, vraiment énormément. Ils sont même organisés en différentes communauté qu'on appelle des guildes. Leïmy et Negg appartiennent à l'une d'entre elles.
- Ce sont des criminels ?
Sous le coup de la surprise, la voix d'Iléany monta involontairement dans les aiguës, ce qui fit grimacer Icrann.
Ce dernier opina sombrement avant d'ajouter :
- Leïmy est même tristement célèbre mais je préfère ne pas m'étendre sur le sujet.
Iléany acquiesça, comprenant le désire d'Icrann de ne pas parler des heures de Leïmy qui, à présent, l'effrayait vraiment.
Ne voulant tout de même pas clore la conversation ici, la jeune femme changea totalement de sujet en questionnant encore Icrann :
- Vous avez de la famille chez vous ?
- Non. J'ai pris la mer comme mon père avant moi et c'est tout ce qu'il y a dire. Et vous ?
- Je n'ai personne non plus. À part mon cousin, Léano, mais ça fait longtemps qu'il ne vit plus ici...
Iléany laissa sa phrase en suspend puis elle soupira tristement. Il n'y avait pas grand chose qui la rendait chagrine mais l'absence de Léano en faisait partie.
Ne souhaitant pas non plus rester sur cette triste note, elle chercha une nouvelle question à poser mais ses réflexions n'allèrent pas bien loin. Une brusque migraine l'empêcha de se concentrer. Elle se massa les tempes en grimaçant.
Inquiet, Icrann lui posa une main sur l'épaule et s'enquit :
- Tout va bien ?
Iléany ne parvint pas à articuler une réponse, le crâne trop douloureux pour réfléchir aux mots à utiliser.
Son instrument glissa de ses genoux et tomba au sol en produisant un son discordant.
Soudain, elle rejeta la tête en arrière et ses yeux devinrent totalement bruns. Icrann eut un involontaire mouvement de recule, à la fois surpris et effrayé par cet étrange phénomène.
Iléany ne demeura dans cet état que quelques secondes qui parurent bien longues et angoissantes à Icrann.
Les yeux de la jeune femme reprirent leur apparence normale. Vidée de ses forces, elle s'affaissa contre Icrann qui ne sut comment réagir.
La Librhad haleta :
- Il faut...il faut que je parle à...à Sire Délèk. Ça...ça concerne...Leïmy et les épreuves. »
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