Chapitre 10
Leïje regarda la lourde porte du palais du Conseil se referma sur Dabielle.
Cette dernière ne savait pas qu'il l'avait suivie depuis les toits de la capitale. Il avait préféré ne pas l'en informer pour éviter qu'elle ne recommence à se faire des idées malgré sa déclaration très claire de la veille. Leïje souhaitait s'assurer que la jeune fille entre sans difficulté dans le palais. Même si il n'éprouvait aucun sentiment pour elle autre qu'un embryon d'affection, il ne pouvait la laisser prendre des risques sans se soucier d'elle ou s'assurer que tout se déroulait sans accrocs.
Leïje était comme cela : incapable d'amour mais très soucieux d'autrui.
Le voleur quitta son poste d'observation et descendit du toit où il était posté. Il lança un dernier regard par-dessus son épaule en direction du palais puis il s'éloigna dans la rue.
Lorsqu'il traînait dans ce quartier, il portait toujours la capuche de son long manteau par prudence. Avec l'étrange série de meurtres qui mettait la Garde en échec, les patrouilles se multipliaient de plus en plus et, bien qu'il ne soit pas l'assassin, Leïje restait un voleur recherché pour de très, très nombreux larcins.
Les mains dans les poches, ignorant la forte chaleur qui pesait sur son corps, il prit la direction de la demeure de Maige pour l'informer du fait qu'il avait un pied dans le quotidien du palais du Conseil. Comme toujours, il franchit le portail en fer forgé, il remonta l'allée de graviers qui crissèrent sous ses bottes en inspirant le parfums des camélias qui fleurissaient le long du chemin, monta les marches du perron et frappa contre la porte.
Il entendit Myrthe soupirer avant même qu'elle n'ouvre. La domestique ne dit rien et se contenta d'un regard hautement désapprobateur. Maige avait dû lui demander de ne plus s'énerver contre Leïje lorsque Lidian était dans la maison.
Le voleur adressa un sourire mi-charmeur mi-moqueur à la vieille femme puis gagna le salon. Comme toujours, Maige lisait sur le divan. Leïje avait l'impression que les livres de la jeune femme étaient un peu plus épais et anciens à chacune de ses visites.
La rouquine releva les yeux de son volume. Leïje lui sourit. Elle le lui rendit mais en plus triste, avec les bords des lèvres affaissés.
Elle devina :
« Du nouveau.
- Mon amie fait certainement partie des effectifs du palais du Conseil à présent. Si il y a une personne qui a des activités suspectes là-bas, elle le découvrira.
- Comment a t-elle fait pour y entrer ?
- Elle a dit qu'elle voulait apprendre la magie.
- Votre amie est magicienne ?
- Elle ne l'était pas jusqu'à il y a quelques jours.
- Vous voulez dire que...
- Oui. Exactement comme moi. De plus en plus étrange, n'est-ce pas ?
- En effet... J'ai quelque chose qui pourrait vous intéresser.
Leïje arqua un sourcil, attentif et intrigué.
Maige se leva avec difficultés. Le voleur s'empressa de venir l'aider et la soutint jusqu'à une étagère habillant le mur ouest. Maige prit un petit volume qui se rapprochait davantage du carnet et le tendit à Leïje qui le prit.
Avant qu'il ne pose des questions, la nécromancienne lui indiqua :
- C'est le journal de Dévlin. Il a consigné tout ce qu'il s'est déroulé l'année passée. Il y a un passage où il parle d'une certaine Iphamme.
- J'ignorais que Dévlin tenait un journal.
- Je ne l'ai découvert que récemment. Il...il me manque tant que je suis allée voir dans ses affaires et j'ai trouvé ça. Je l'ai lu. J'aime beaucoup la manière dont Dévlin écrit. Euh...j'ai marqué la page où apparaît le nom d'Iphamme.
Maige tourna les pages jusqu'à tomber sur une au coin corné puis elle laissa Leïje lire.
Le voleur mit quelques secondes avant de déchiffrer l'écriture de Dévlin puis il parcourut rapidement le passage, fébrile.
Il apprit que Leïmy, Negg et Dévlin avaient découvert des peintures rupestres sur les parois d'une grotte du mont Kieff dans laquelle ils s'étaient réfugié pour se protéger d'une averse de grêle. Parmi les dessins aux teintes passées, il y avait des noms dont celui d'Iphamme, une personne qu'avait cité Kaéque avant de mourir. Peu de temps après, Leïmy avait eu une crise où elle avait eut une vision dans laquelle, une femme lui ayant dit se nommer Iphamme lui avait parlé mais ses propos avaient été difficiles à décrypter et Dévlin ne les avait pas encore tout à fait saisis. Tout cela s'était produit durant le coma général.
Leïje referma le carnet, déçu. Il s'attendait à davantage d'informations or, il n'avait pas appris plus que ce l'esprit de Cilisse lui avait transmis mais la certitude qu'il devait se rendre au mont Kieff était à présent encore plus forte.
Il rendit le journal à Maige qui le regardait d'un air interrogateur.
Leïje soupira :
- C'est peu.
- Je sais mais c'est tout ce que j'ai trouvé sur cette femme. À t-elle un rapport avec la conspiration ?
- Non, c'est pour Leïmy. Je mène deux affaires en même temps.
Maige se mordit la lèvre inférieure, le visage soudainement très triste.
Leïje crut qu'elle s'inquiétait pour l'avancée de leurs recherches sur le complot. Il voulut la détromper en lui assurant qu'il n'abandonnerait pas, qu'il ne la laisserait pas porter cela seule et qu'il devait pouvoir gérer deux "enquêtes" à la fois mais avant qu'il ne prononce un mot de sa tirade, Maige se détourna, s'appuyant sur le dossier du divan tout en serrant le journal contre sa poitrine.
- Leïmy vous a envoyé un message.
Devina t-elle.
Leïje comprit qu'elle ne craignait pas de se retrouver seule face aux conspirateurs mais qu'elle était blessée que Leïmy ait communiqué avec lui alors qu'elle n'avait toujours pas de nouvelles de Dévlin.
Le voleur la rassura :
- Oh, vous savez, Leïmy ne l'a fait que pour me donner des ordres. Je ne sais même pas pourquoi je dois trouver cette femme.
Maige hocha la tête, peu convaincue par les paroles du voleur. Elle se rassit sur le divan, toujours aidée par Leïje qui s'installa à côté d'elle.
Le silence s'étendit sur plusieurs minutes. Maige essuyait régulièrement les larmes qui venaient perler aux coins de ses grands yeux.
Leïje commençait à se dire qu'il était temps pour lui de partir car il avait encore beaucoup de choses à faire et à régler. Trop d'éléments encore inconnus à découvrir et trop peu de temps ou de moyens.
Il s'apprêtait à se lever lorsque Maige inspira profondément pour se forcer à se reprendre et elle déclara :
- Il y a autre chose dont je dois vous faire part.
Leïje se renfonça dans les coussins moelleux, attendant la suite et espérant que ces informations seraient plus utiles que celles contenues dans le journal de Dévlin.
Il était également impressionné par les découvertes que Maige avait faites depuis sa dernière visite alors que lui était uniquement parvenu à convaincre Dabielle de les aider.
Maige raconta :
- Je me suis un peu renseigné sur la famille Simmbel. Ça n'a pas été très difficile. J'ai simplement posé des questions à une connaissance qui a été ravie de me fournir des tas de détails. En résumé, la famille Simmbel est originaire d'Igga, où elle a sa résidence principale. Vargram est l'aîné, il a vingt-trois ans et est l'héritier de la fortune familiale. Il a une sœur de dix-neuf ans qui s'appelle Miden. Je sais que durant plusieurs années, environ entre ses onze et ses seize ans, on n'a pas entendu parler de Vargram ni ne l'a ne serait-ce qu'aperçu mais c'est la seule chose que je sais à ce sujet. Il a ensuite réapparu et ses parents l'ont envoyé dans l'une des écoles d'Orquia où il est resté depuis. C'est tout ce que mon amie a pu m'apprendre sur notre homme mais j'ai la confirmation que les Simmbel sont à Orquia depuis peu et qu'ils vont organiser un bal dans la maison de leur fils.
- Comment pouvez-vous en être aussi certaine ?
- J'ai reçu une invitation pour y assister, tout comme Lidian.
- Un bal ? Ça semble un peu déplacé alors que leur aîné s'est volatilisé.
- Au premier abord, c'est vrai mais en y regardant de plus près, il me paraît que c'est évident que c'est pour tenter d'obtenir des informations sur la disparition de Vargram.
- Dîtes-moi, votre invitation ne s'adresse qu'à une seule personne ou pouvez-vous venir accompagnée ?
- Je croyais que vous étiez censé être mort.
- À part votre cousin, qui pourrait bien me connaître parmi cette armée de nobles ? Il n'y a aucun danger.
- Très bien mais nous ne devons pas nous faire remarquer alors vous devrez vous mélanger.
- Je serai un parfait aristo !
- Ce qui signifie une tenue appropriée.
La détermination dont Leïje venait juste de faire preuve retomba immédiatement. Il allait devoir délaisser son manteau pour un pourpoint inconfortable. Il prendrait sur lui. C'était bien trop important pour qu'il ne pense qu'à sa personne.
Il soupira mais acquiesça.
- Très bien, nous...
Commença Maige mais elle fut interrompue par la porte qui s'ouvrait.
Sans attendre, Leïje bondit par-dessus sur le dossier du divan, se dissimulant derrière si bien que Lidian ne découvrit que Maige dans le salon.
La jeune femme était hébétée par la vive disparition de Leïje et elle peinait à se reprendre. Lidian fronça les sourcils en voyant l'expression de sa cousine.
Il s'enquit :
« Tout va bien, Maige ?
- Oui, oui. Je...je m'étais assoupie un instant.
- Je voulais seulement te demander si tu comptais venir au bal des Simmbel.
- Oui, bien sûr, pourquoi ?
- Dans ton état, ce n'est peut-être pas raisonnable.
- Ne t'inquiète pas.
- Si tu le dis mais tu devras y aller seule. Je serai en retard. Ça ira ?
- Oui, je devrai pouvoir m'en sortir.
- Parfait. Je te laisse, j'ai des choses à faire. »
Lidian sourit à sa cousine puis s'en fut.
Leïje sortit la tête de derrière le dossier et déclara :
- Bon, je suppose que je n'ai plus qu'à fouiller dans la garde-robes de votre cousin. »
Le soir était tombé sur la capitale. Leïje et Maige auraient pu se retrouver devant la demeure des Simmbel mais le voleur avait tenu à accompagner Maige. Il n'allait tout de même pas la laisser faire seule le trajet en pleine nuit.
La façade de la demeure ainsi que le mur d'enceinte avaient été décoré par des lampions de papier rouges et violets.
Des gardes, habillés de vert et gris, couleurs du blason de la famille Simmbel, patrouillaient et surveillaient les entrées mais ils ne demandèrent pas son invitation à Maige puisqu'ils la reconnurent et, comme Leïje l'accompagnait, ils ne l'interrogèrent pas non plus.
Les allées du jardin étaient éclairés par d'autres lampions, incolores cette fois, et ils y voyaient très bien.
Ils entrèrent dans une salle au sol de marbre blanc dans lequel était incrusté du bois foncé formant un motif géométrique au centre précis. Au plafond pendait un immense lustre de fer, de perles et de cristal davantage décoratif que utile à l'éclairage, d'après Leïje. Les hautes et étroites fenêtres étaient toutes ouvertes pour laisser pénétrer l'air plus frais de la nuit dans la salle et rafraichir l'atmosphère déjà étouffante à cause des nombreux corps et de tous les mets servis pour l'occasion.
Les odeurs étaient également suffocantes. Il y avait celle de la nourriture et tous les parfums dont les convives s'étaient généreusement aspergé ainsi que ceux de leur maquillage. Toutes ces odeurs se mélangeaient en un miasme écœurant, surtout pour Leïje qui n'était pas habitué à ce genre de soirées surfaites et pleines d'illusions. Maige fut également saisie d'un haut le cœur, plus sensible à l'écœurement depuis qu'elle était enceinte.
Leïje avisa un espace libre proche d'une fenêtre. Il saisit le coude de Maige et l'entraîna dans cette direction en proposant :
« Je crois qu'on va rester près de l'aération.
Maige acquiesça, une main sur la poitrine. Tout deux respirèrent plus librement lorsqu'ils furent tournés vers les jardins.
Leïje s'accouda sur le rebord de la fenêtre et observa l'extérieur. Ce qu'il vit lui fit froncer les sourcils. Cela lui semblait familier mais pourquoi ? Il était certain qu'il n'avait jamais rien volé dans cette demeure. À moins que ce ne soit pas lui qui ait commit le larcin...
La lumière se fit dans l'esprit du voleur et il ne contint qu'à grande peine son hilarité ce qui ne l'empêcha pas de laisser échapper un gloussement.
Maige se tourna vers lui, un regard interrogateur sur le visage. Elle lui demanda :
- Que vous arrive t-il ?
- Cet endroit, Leïmy et Negg l'ont cambriolé avant de s'embarquer pour le désert de Soow ! »
Maige regarda autour d'elle, affolée par l'idée que quelqu'un ait pu entendre les propos de Leïje mais, visiblement et à son grand soulagement, personne ne semblait avoir capté leur conversation. La jeune femme pria le voleur d'être discret et lui rappela qu'il devait se mêler au mieux à la foule des invités.
Leïje grommela en tirant sur son col qui l'étranglait. Avec cette tenue insupportablement inconfortable et qui le dérangeait, il ne risquait pas de l'oublier mais il opina tout de même aux mots de Maige.
Il n'avait pas besoin qu'un de ces nobles avertissent la Garde car il l'avait entendu parler de vol.
Le silence s'étendait. Le duo scrutait les convives sans prononcer une parole. Ils étaient venus pour découvrir des informations sur Vargram mais à présent qu'ils se trouvaient chez lui, au cœur de la fête, ils ignoraient comment en obtenir.
Leïje s'empara d'un verre de liqueur qu'un serviteur portait sur un plateau. Il s'apprêtait à boire une gorgée mais son regard se posa sur Maige. Étant enceinte, elle n'avait pas le droit à l'alcool. Par égard pour la nécromancienne, Leïje reposa son verre sur le rebord de la fenêtre.
Maige ouvrit la bouche pour lui dire, gênée, de ne pas se priver pour elle mais elle en fut empêchée par une voix enjouée qui l'invectiva :
« Madame De Iyrté !
Maige soupira. Même si elle était mariée, tout le monde continuait à l'appeler par son nom de jeune fille et non celui de Dévlin. Cela la peinait car elle avait l'impression qu'on ne prêtait aucune attention à son époux.
Elle s'empressa de repousser cette pensée, premièrement car ce n'était pas le moment et deuxièmement car elle risquait de se mettre à pleurer au milieu de la fête.
La jeune femme se tourna vers la personne qui venait de l'appeler. Il s'agissait d'une femme rondelette aux joues rebondies maquillées de rose. Ses grands yeux verts brillaient d'un éclat rieur et ses cheveux châtains striés de mèches grises étaient tirés en un chignon embelli par une tiare. Son bras était passé à celui d'un homme de très belle carrure malgré ses bons cinquante ans. Ses cheveux tombant sur ses épaules étaient très clairs et il était impossible de dire si ils étaient d'un blond extrêmement pâle ou blancs. Ses mâchoires carrées et les traits de son visage étaient les mêmes que ceux de Vargram en plus âgés. Monsieur et madame Simmbel.
Bien que crispée, Maige leur sourit et les salua poliment :
- Bonsoir. Votre réception est magnifique.
- Ravie qu'elle vous plaise.
Répondit madame Simmbel avec un large sourire sur son visage joufflu.
Son époux déposa un baiser sur la main de Maige puis constata :
- Je ne vois pas votre cousin. Seriez-vous venue seule ?
- Il est prévu que mon cousin me rejoigne plus tard mais quelqu'un m'a...
Maige s'interrompit en s'apercevant que Leïje ne se tenait plus à ses côtés. Elle le chercha du regard et le trouva plus loin, en pleine conversation avec deux jeunes filles qui se pâmaient devant son sourire charmeur.
Maige leva les yeux au ciel. Elle songea que, si jamais les choses tournaient mal pour une raison ou pour une autre, il valait mieux qu'on ne sache pas qu'ils étaient venus ensemble.
Elle revint poser son regard sur les hôtes de la soirée avec un sourire tiré peu naturel et elle corrigea sa phrase précédente :
- Je...non rien ! Oubliez cela.
- Comme vous voudrez.
Sourit madame Simmbel. Maige soupira de soulagement en caressant distraitement son ventre. Madame Simmbel, qui avait visiblement envie de parler, remarqua :
- On dirait qu'il n'y en a plus pour longtemps. Il faudrait faire attention à ce que vous n'accouchiez pas durant la fête !
Le rire généreux et enfantin qui secoua la femme ronde ne fut pas vraiment partagé par les deux autres. Son époux faisait preuve de plus de retenue et cette plaisanterie ne faisait que rappeler à Maige qu'elle risquait d'enfanter sans Dévlin à ses côtés.
Sentant également cette absence, madame Simmbel continua, bavarde :
- J'ai l'impression que votre mari n'est pas là non plus.
- Il a été retenu par...des affaires à régler.
- Quel dommage !
- Je suis bien d'accord.
Murmura Maige en baissant la tête, le visage soudain très triste, les mains jointes sur son ventre rebondi.
Madame Simmbel lui serra amicalement le bras comme si elle avait deviné que l'absence de Dévlin ne datait pas de ce soir puis elle déclara :
- Bon, nous allons aller saluer d'autres invités. J'espère que la soirée vous sera agréable. »
Et utile. Ajouta Maige silencieusement en souriant à ses hôtes qui repartaient vers d'autres convives prestigieux.
La jeune femme soupira lourdement en passant une main dans ses cheveux coiffés d'une petite tresse plaquée sur le côté de son crâne. Cette conversation avait ramené le chagrin qu'elle combattait continuellement et qu'elle avait passé l'après-midi à refouler. Elle se força à se reconcentrer sur la raison pour laquelle elle et Leïje se trouvaient ici.
Elle repéra à nouveau le voleur, toujours occupé à séduire les deux nobles. Maige vint vers lui et, mal-à-l'aise comme à son habitude, elle tapota l'épaule de Leïje pour attirer son attention. Il se retourna vers elle sans se départir de son sourire de séducteur.
Maige, qui ne sut pas comment s'exprimer, balbutia :
« Euh...Je... Pourriez-vous me suivre, si ce n'est pas trop demander ?
Avant de lui répondre, Leïje se tourna vers ses deux éventuelles futures conquêtes à qui il précisa :
- Ce n'est pas ma femme et pas mon enfant non plus.
Il fit un clin d'œil aux jeunes filles puis il s'éloigna en compagnie de Maige, parfaitement satisfait que son charme ravageur n'opérait pas seulement sur les serveuses de tavernes mais également sur les aristocrates éduquées. Cela lui avait fait oublier tous les désagréments que lui causait ce bal.
Ils revinrent s'installer à côté de la fenêtre au rebord de laquelle Leïje s'accouda tout en détaillant les autres invités et en particulier les belles jeunes femmes. Maige soupira. Il était totalement incorrigible et irrécupérable.
Toujours hésitante, elle tenta de reprocher au voleur :
- Écoutez, je... Nous sommes venus pour une raison précise et...
- Ne vous inquiétez pas, je ne perd pas ma mission de vue et ce n'est pas parce que je les charme que je me laisse distraire par les femmes. D'ailleurs, j'en ai repéré une qui nous aidera peut-être à en apprendre davantage.
Maige fronça les sourcils, ne voyant pas comment une conquête du voleur pourrait leur être utile. Devinant sans la moindre peine l'interrogation muette de la nécromancienne, Leïje lui tourna le menton vers le coin nord-est de la salle et lui indiqua une jeune fille d'une petite vingtaine d'années vêtue d'une toilette grise perle. Ses cheveux châtains et ses yeux verts étaient les mêmes que ceux de madame Simmbel. En fait, elle était le portrait craché de sa mère mais en plus jeune et sans les kilo en trop. Maige comprit et elle hocha la tête d'un air entendu mais elle entrevoyait un problème.
- Ce n'est pas une mauvaise idée, j'en conviens mais je ne sais pas si elle acceptera de se livrer.
- Vous ne m'avez jamais vu à l'œuvre dans le second domaine où je suis le plus talentueux, le premier étant le vole.
Leïje adressa un clin d'œil ainsi qu'un sourire moqueur à Maige et il la laissa là, se faufilant à travers la foule pour rejoindre la sœur de Vargram.
Il réajusta ses vêtements, mettant au mieux sa silhouette en valeur, et ordonna un peu ses cheveux cuivrés. Cela lui prit le temps dont il eut besoin pour arriver à la hauteur de la jeune fille.
Cette dernière tourna vers lui un regard peu intéressé. Leïje ne se découragea pas. Il la salua d'une révérence aussi élégante que théâtrale, lui fit un baisemain et prit la parole :
« Pardonnez mon audace mais il faut absolument que vous sachiez que je ne m'attendais pas à contempler pareil beauté ce soir. Vous êtes, et de loin, la plus superbe des femmes se trouvant ici et, contrairement à elles, vous n'avez besoin d'aucun artifices pour briller telle une étoile.
- Pourrais-je connaître le nom de l'homme me servant tant de belles paroles ?
Le sourire qu'avait esquissé la jeune fille était bon signe, Leïje avait suffisamment d'expérience pour le savoir.
Encouragé, le voleur fit une nouvelle courbette et se présenta avec le premier nom lui venant à l'esprit :
- Desscart De Sallier, pour vous servir, belle créature.
- Le nom de votre famille m'est inconnu.
- Oh, c'est parce qu'elle est des plus modestes. Notre fortune n'est guère élevée. Nous appartenons à la petite aristocratie. Notre sang est plus rouge que bleu.
- Mais vous compensez cela par un charme peu commun.
Leïje répondit à ce compliment par un des sourires dont il avait le secret.
Le rouge monta aux joues de Miden qui espéra que la poudre le cacherait. Cette réaction de jeune fille effarouchée contrastait avec sa phrase précédente, peu subtile et pleine de provocation. Leïje avait d'ailleurs été surpris. D'habitude, les nobles cherchaient à se donne un air prude qui s'opposaient bien souvent à leurs pensées.
Leïje prit la main de Miden et lui demanda d'une voix suave :
- Me feriez-vous le plaisir de m'accorder une danse ?
De charmé et flatté, le visage de Miden devint triste et angoissé. Elle se détourna de Leïje qui jura à voix basse. Il pensait avoir gagné mais rien n'était encore totalement perdu.
Se permettant une certaine proximité avec Miden, il lui caressa furtivement la joue et décréta :
- Pareille expression ne devrait jamais venir ternir un aussi beau visage.
- C'est que je suis inquiète pour mon frère.
- Votre frère ? Que lui est-il arrivé ?
- Nous l'ignorons. Il a disparu depuis quelques jours et mes parents s'en moquent parfaitement. Au lieu de tout mettre en œuvre pour le retrouver, ils organisent une fête où ils paradent ! Regardez-les. C'est comme si tout était normal, que mon frère était simplement à l'étage, exactement comme la première fois.
Leïje fronça les sourcils, réagissant aux derniers mots de Miden.
Vargram serait-il un récidiviste de la disparition. Intriguant...
Tentant de paraître le moins intéressé possible, le voleur se renseigna :
- Votre frère a t-il coutume de se volatiliser ?
- C'est arrivé lorsqu'il avait onze ans. Excusez-moi, je...j'ai besoin d'air frais. »
Miden se plaqua une main sur la bouche pour retenir un sanglot que la fin de cette conversation faisait monter de sa poitrine et elle s'empressa de quitter la salle de bal avant que les larmes n'entament son maquillage soigneusement appliqué.
Leïje la regarda sortir en se sentant un peu coupable. Peut-être aurait-il dû poser sa question avec plus de subtilité. Il hésita un instant à aller s'excuser mais il se ravisa, devinant qu'elle préférerait rester seule un instant alors le voleur chercha Maige du regard.
La jeune femme n'avait pas bougé et avait observé la discussion même si elle n'avait pas entendu les paroles. Elle fixait sur Leïje ses yeux où luisait une interrogation silencieuse, attendant qu'il vienne lui expliquer ce qu'il s'était passé mais, au lieu de la rejoindre, le voleur s'enfonça parmi un groupe de danseurs, se dissimulant.
Maige leva les sourcils, vraiment très surprise par cette réaction mais elle comprit lorsqu'elle entendit la voix de Lidian s'élever à sa droite :
« Te voilà ! Tout va bien ?
Maige acquiesça en quittant du regard l'endroit s'était tenu Leïje à peine quelques secondes plus tôt. Elle savait parfaitement que son sourire était crispé et peu convaincant mais elle ne pouvait faire mieux. Heureusement pour elle, Lidian crut que cette expression tirée était due à de l'épuisement et il s'inquiéta :
- Tu as l'air fatiguée, cousine.
- Je me sens juste un peu nauséeuse.
- Si tu ne te sens pas bien, nous rentrons immédiatement (Maige acquiesça et, rassuré, Lidian changea de sujet). C'est étrange, j'ai cru apercevoir l'ami de Dévlin qui était chez toi l'autre jour en entrant.
Le cœur de Maige s'emballa et la tête lui tourna à ces paroles. Exactement ce qu'ils redoutaient. Lidian avait remarqué Leïje. Si il avait la certitude que le voleur se trouvait ici, les doutes qu'il avait seraient confirmés et tout serait perdu.
Essayant de le détromper, Maige émit un rire qui monta trop dans les aiguës pour paraître naturel.
- Ha, ha ! Cela m'étonnerait beaucoup, Lidian.
- Je t'assure que si ! Viens voir !
Insista Lidian, prenant le comportement de sa cousine comme un aveu. Une chance qu'elle soit trop honnête pour savoir mentir sinon, il n'aurait jamais pu deviner ce qu'elle voulait cacher.
Il la saisit par le bras et la tira en direction de l'endroit où il avait repéré Leïje. Maige voulut résister mais elle se doutait que Lidian ne renoncerait pas à la surprendre en train de conspirer contre le complot, à moins qu'un incident de grande gravité ne survienne. Cette pensée fit se souvenir à la jeune femme de la plaisanterie de madame Simmbel.
Décidant de tenter le tout pour le tout, elle se plia en deux en crispant sa main libre sur son ventre et se mit à haleter.
La peur la rendant meilleure comédienne qu'à l'accoutumée, elle geignit :
- Lidian, attend... Je...je crois que le bébé arrive.
Lidian se retourna vivement, les yeux écarquilla par la stupeur.
Il s'empressa de la faire s'allonger en douceur sur le sol, radicalement transformé en quelques secondes, puis il appela :
- S'il vous plaît ! J'ai besoin d'aide ! Je crois que ma cousine accouche !
Un cercle se forma rapidement autour des deux rouquins et Maige commença à se dire que ce n'était peut-être pas une excellente idée de feindre son accouchement. Maintenant, elle n'avait plus que deux solutions pour s'en sortir : soit elle donnait vraiment le jour à son enfant tout de suite, soit elle s'excusait en expliquant que ça n'avait été qu'une contraction précoce et qu'elle s'était affolé inutilement.
Trouvant que la première possibilité était un peu trop difficile à appliquer, elle choisit la seconde. Toujours soutenue par Lidian, elle se redressa en prétendant :
- C'est bon. Je pense que ce n'était qu'une fausse alerte. »
Un soupir de soulagement franchit les lèvres des invités, peu désireux d'assister à un accouchement.
Tout en se relevant, aidée par son cousin, Maige chercha Leïje du regard mais le voleur demeura invisible. Tant mieux.
Tenant son rôle de maîtresse de maison, madame Simmbel conseilla à la nécromancienne :
- Vous devriez aller vous allonger. Nous avons des chambres libres. Nous allons en mettre une à votre disposition. Un domestique va vous accompagner. »
En terminant sa phrase, madame Simmbel fit signe à un serviteur de venir. L'homme confia son plateau de petits-fours à un collègue et se pressa de venir s'occuper de Maige que Lidian ne lâchait pas.
Le domestique les guida dans le couloir de la demeure, leur fit monter un escalier puis leur ouvrit une porte.
Maige s'installa sur la matelas moelleux, s'apercevant qu'elle était épuisée. Elle ne s'inquiéta pas pour Leïje, sachant très bien qu'il ne partirait pas sans elle.
Ce qui la tracassa, en revanche, fut le regard que Lidian ne cessa pas de poser sur elle.
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