Histoire de la conception de l'homosexualité féminine
Par les lesbiennes
«Au commencement étaient des femmes qui n'avaient pas de nom, mais qui avaient des moeurs... Des moeurs, pour tout dire, très spéciales.»
Evelyne Le Garrec, Des femmes qui s'aiment.
Les lesbiennes considèrent le plus souvent que leur identité se réfère de manière privilégiée à leur sexualité individuelle ou leur appartenance à un groupe de personnes partageant des traits communs, ou les deux. Bien que, dans de nombreuses cultures au cours de l'histoire, des femmes ont eu des relations sexuelles avec d'autres femmes, elles ont rarement été désignées avant le xxe siècle comme faisant possiblement partie d'un groupe défini et autonomiste, sur le plan culturel et social, et nouvellement sur le plan sexuel.
Ce dernier constituant un argument sociologique et comportemental inédit, est présenté comme le point d'orgue de l'antagonisme à une constitution normative persévérante des schémas moraux au sein de la société (à partir du schéma sexuel), doublement aliénante pour elles, compte tenu de la position peu influente de l'ensemble des femmes sur le plan politique jusqu'à la fin de celui-ci. Plus largement, le réflexe de médicalisation du statut de l'homosexualité et sa stigmatisation progressive au sein de la société, a permis le développement d'une communauté de mœurs consciente dès le début du xxe siècle et ainsi la naissance d'une identité sous-culturelle.
Aux alentours de 1905, la réflexion de certaines femmes homosexuelles sur le fait que leurs comportements, leurs relations ou leur manière de vivre pouvaient être labellisés comme « lesbiens » et provoquer un clivage social défavorisant pour elles, les a poussées au déni ou à la dissimulation, comme la professeure Jeannette Marks du Mount Holyoke College qui vécut pendant 36 ans avec la présidente de l'université Mary Woolley. Marks, en totale contradiction avec ses choix personnels, mit les jeunes femmes en garde contre les amitiés « anormales » et insista sur le fait que le bonheur ne pouvait être atteint qu'avec un homme.
D'autres femmes refusèrent de se dépeindre comme lesbiennes malgré leur comportement : Djuna Barnes, auteure de Nightwood, un roman à propos d'une aventure que Barnes avait eue avec Thelma Wood, fut désignée comme « écrivaine lesbienne », qu'elle réfuta en arguant qu'elle « n'était pas lesbienne, [elle] a juste aimé Thelma ».
D'autres femmes, en revanche, embrassèrent la distinction et utilisèrent leur « différence » pour se démarquer intellectuellement des femmes hétérosexuelles et des hommes homosexuels. Entre les années 1890 et 1930, l'héritière américaine Natalie Clifford Barney tenait un salon hebdomadaire à Paris où des personnalités majeures du monde des arts étaient invitées pour discuter de sujets lesbiens. Excentrique, elle tenta de créer une version actualisée et idéalisée de Lesbos dans son salon. Parmi ses habituées, elle comptait l'artiste Romaine Brooks, les écrivaines Colette, Djuna Barnes et Gertrude Stein ainsi que la romancière Radclyffe Hall.
Les significations variées qu'a pris le mot « lesbienne » depuis le début du xxe siècle a provoqué une réévaluation historique des relations entre femmes avant que ce terme ne désigne des inclinations érotiques. Des débats suivirent sur ce qui définit une relation comme « lesbienne ». Pour les lesbiennes féministes, l'activité sexuelle n'était pas nécessaire pour qu'une personne se déclare lesbienne, tant que ses relations principales étaient avec des femmes ; de plus, à certaines époques, les notions d'« amour » et de « sexe » n'étaient pas corrélées. En 1989, un groupe d'universitaires, le Lesbian History Group, écrit :
« En raison de la réticence de la société à admettre l'existence des lesbiennes, un haut degré de certitude est attendu avant que les historiens ou les biographes soient autorisés à utiliser l'étiquette [« lesbienne »]. Des indications qui auraient été suffisantes dans d'autres situations sont jugées inadéquates… Une femme qui ne s'est jamais mariée, qui vivait avec une autre femme, dont les amis étaient en grande majorité d'autres femmes ou qui évoluait parmi la communauté gay et lesbienne, aurait très bien pu être une lesbienne, même si ces indications ne sont pas des “preuves”. Ce que nos contradicteurs veulent, c'est une preuve irréfutable d'activité sexuelle entre femmes, et c'est pratiquement impossible d'en trouver. »
Par le milieu médical:
Au milieu du xixe siècle, la littérature médicale s'efforçait de trouver des manières d'identifier l'homosexualité masculine, considérée à l'époque comme un problème social dans de nombreuses sociétés occidentales. En catégorisant les comportements associés à ce qui était appelé à l'époque l'« inversion sexuelle » par le sexologue allemand Magnus Hirschfeld, les chercheurs ont défini le comportement sexuel normal pour les hommes et les femmes, et ont donc montré à quel point les hommes et les femmes différaient des modèles-types de comportements sexuels, masculin comme féminin.
À la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle, deux médecins, Richard von Krafft-Ebing et Havelock Ellis, sont les premiers à avoir catégorisé l'attraction des femmes pour leur sexe. Leur approche de l'homosexualité féminine, qu'ils assimilent à une forme de démence, va durablement marquer les études scientifiques portant sur ce sujet.
Pour le britannique Havelock Ellis, il y avait les « vraies inverties », qui passeraient leurs vies à la recherche de relations érotiques avec des femmes. Celles-ci faisaient partie du « troisième sexe », rejetant le rôle des femmes qui se devaient d'être féminines, soumises et « domestiques »[b 2]. « Invertie » signifie « jouant le rôle de l'autre genre » ; comme à l'époque victorienne, les femmes étaient considérées comme incapables d'initier des relations sexuelles, on pensait de celles qui le faisaient avec d'autres femmes qu'elles possédaient des désirs sexuels masculins, introduisant de ce fait la négation d'une sexualité intrinsèquement féminine.
Les travaux de Richard von Krafft-Ebing, un médecin allemand qui contribua aussi au développement de la sexologie, et d'Ellis d'autre part, eurent beaucoup de succès et contribuèrent à faire connaître l'homosexualité féminine au grand public. Par exemple, en Allemagne, plus d'un millier d'articles concernant l'homosexualité furent publiés entre 1898 et 1908. Entre 1896 et 1916, 566 articles concernant la « perversion » des femmes le furent aux États-Unis. La classification médicale du lesbianisme en maladie mentale, comme l'avance Ellis, est aujourd'hui largement discréditée.
La caractérisation d'une « typologie » homosexuelle commença au milieu du xixe siècle et elle intégra progressivement l'opinion des lesbiennes elles-mêmes.
L'affirmation des sexologues, notamment de Krafft-Ebing, selon laquelle l'homosexualité est une anomalie congénitale, était généralement bien acceptée par les hommes homosexuels, puisque cela signifiait que leur comportement ne pouvait pas être considéré comme un crime. À l'époque, l'homosexualité masculine était en effet largement réprimée. En absence d'autres points de vue pour décrire leurs émotions, les homosexuels acceptèrent d'être désignés comme « différents » ou « pervers » et utilisèrent leur statut de hors-la-loi pour former des groupes sociaux à Paris et Berlin.
Texte venant du site :
"Histoire des lesbiennes — Wikipédia" https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Histoire_des_lesbiennes
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