Chapitre 22
La charrue qui les transporte va cahin-caha sur les chemins. Personne ne parle et c'est le bruit de pièces de métal se heurtant et le pas des chevaux qui finissent par tirer Jisung du sommeil dans lequel il s'était plongé. Tout son corps est douloureux de dormir à même le bois, et il étire ses muscles endoloris avant d'ouvrir un œil, toujours caché sous des morceaux de tissus trouvés dans leur cage et dans lesquels il s'emmitoufle. Yongbok se tient allongé face à lui, endormi aussi, et semblant être en train de rêver. Son corps s'agite et gesticule.
Malgré sa détresse, cela arrache un sourire à Jisung. Doucement, il tend son doigt jusqu'à toucher le bout du nez de son compagnon et appuie légèrement dessus.
- Hmm.
Le noiraud ôte rapidement sa main et se recroqueville sur lui même, comme si de rien était alors que Yongbok s'agite en râlant et frotte son nez de son poing. Il ne pensait pas à le réveiller, mais le mal est fait. Peu importe. Cela lui aura au moins permis une petite distraction, puis il pourra raconter sa rencontre à Minho. Son cœur se serre, la douleur à sa poitrine est si vive... Ses mains, toujours liées entre elles, se resserrent sur le tissu de son hanbok et il retient une plainte en se mordant la lèvre inférieure avec force. La souffrance le terrasse, mais pourtant il doit continuer à lutter contre ce gouffre béant qui ne souhaite que l'entraîner dans ses profondeurs et le perdre dans un abîme si noir qu'il ne saurait en ressortir un jour. Il ne peut pas se laisser aller et abandonner la partie. Yongbok le lui a dit, et le lui dit tous les jours : s'il veut retrouver Minho, il doit vivre et ne pas perdre espoir. Alors il souffle. Il souffle et tente de rester lui-même malgré ce mal qui le ronge et qui veut le voir disparaître pour ne plus avoir à subir. Il reverra son Alpha. Ils seront de nouveau réunis, il s'en fait la promesse, même si cela doit prendre du temps.
Pourtant il se sent dépérir.
Sa main se porte à la marque qu'il porte au cou, par dessus celle que lui a faite Tian. Il embrasse aussi celle qu'il porte à son poignet, sous les bracelets de cuir, sentant du même coup son parfum si aigre qui se diffuse malgré lui. Voilà plus de quinze jours qu'ils ont quitté son village, qu'ils l'ont enlevé à sa vie si paisible et qui lui plaisait tant. Quinze jours sans voir son Alpha.
Doucement Jisung repousse les tissus rugueux dont il s'est drapé et qui le cachent avant de se poster assis, lorgnant sans gêne sur les types à cheval qui les ont enlevé.
- J'ai faim.
- T'attends qu'on fasse une pause.
- Non, j'ai faim.
C'est un coup de cravache dans les barreaux de la cage qu'il obtient en réponse, et il ne lâche pas le bêta des yeux. Si ces types les pensent inférieurs, lui ne compte pas s'en convaincre, il sait ce qu'il vaut, et il n'a pas grand-chose à perdre.
La mer est loin désormais.
Ils sont à présent au milieu des terres, en bonne voie pour atteindre Séoul sous peu. Si seulement il pouvait s'échapper avant... Mais les fenêtres semblent particulièrement réduites, ne serait-ce qu'avec le fait qu'il soit maintenant enchaîné aux barreaux, et qu'ils ne le laissent plus aller se soulager sans une escorte digne de ce nom. Il faut dire que depuis la première fois, il a tenté de s'évader à deux autres occasions, dont une fois où il est parvenu à assommer l'un de ses geôliers. Mais ils le méritent. Au moins ça leur donne l'occasion de courir un peu.
- J'ai faiiiiiiiiim ! Donnez moi à manger !!
L'Oméga s'est subitement accroché aux barreaux et se secoue après comme pour mieux se faire entendre. En tous cas ça réveille Yongbok qui se redresse en frottant ses yeux endormis à la façon d'un enfant. Jisung, le voyant, descend de son perchoir et vient auprès de lui, accroupi.
- Tu vas bien ? ... Mon lapin ? Sommeil agité?
Malgré leur vilaine situation, le jeune regarde Jisung avec les yeux ronds, et finit par éclater de rire avant de passer une main sur sa tête, ébourriffant ses cheveux.
- Quand je dors je contrôle pas, me voilà bien. Mais ce rêve était particulièrement amusant. Peut-être que si t'es sage j'te racont'rai.
- Eh mais je suis! Sage.... Toujours!
Ils se marrent doucement, avant de reporter leurs regards sur les gardes qui les entourent, leurs sourires s'éteignant.
- Je crois qu'on arrive bientôt. J'ai l'impression qu'ils sont plus tendus que d'habitude...
- Et on dirait qu'il y a plus de monde sur les routes...
Jisung observe autour d'eux en hochant la tête. Il déglutit avec difficultés et reporte son attention sur le jeune homme aux joues constellées.
- Si je m'enfuie, je veux que tu viennes. On sait pas ce qu'ils vont faire de nous, et je peux pas te laisser là..
- Jisung, ça fait trois fois que t'essayes sans y arriver, alors avec moi en plus c'est voué à l'échec.
- Mais sois pas si négatif, si on se débrouille bien, on peut y arriver.
- Et comment ? Tu veux rogner les barreaux avec tes dents de rongeur ?
- ...
En soupirant, le noiraud se laisse tomber sur les fesses et prend ses joues dans ses mains, les coudes en appui sur les genoux qu'il a replié.
- Je veux pas qu'ils me refourguent à Tian.
- Tu préfères servir dans une maison de passe comme Oméga fourre tout ?
- ... T'es pas bien luné aujourd'hui dis donc...
- Hm... T'as plus froid ?
- Si. Je suis gelé. Mais j'essaye de pas y penser.
- T'as de la chance, la journée va être encore chaude aujourd'hui...
- Je suis pas sûr qu'on puisse dire que c'est de la chance. J'ai l'impression d'être mort.
- Oh... Rappelle moi de ne jamais me faire marquer.
Jisung tend alors un pied pour lui en donner un coup et ils se retrouvent soudain projetés vers l'avant quand la carriole stoppe brusquement. Le conducteur râle après quelque chose, donnant de la voix et une autre lui répond. Curieux, les oméga tendent l'oreille et essaye de comprendre ce qu'il se passe.
- Des omégas ?? Et vous les transportez comme des marchandises ??
- C'en sont ! Dégage de notre chemin la bougresse !
- Honte à vous bande de malades !
- Dégage foutue bêtasse !
La vieille femme crache au sol devant eux, et agite sa main en direction de Jisung et Yongbok, comme si elle leur souhaitait bonne chance. Ces derniers l'observent, sans rien dire, jusqu'à ce qu'elle disparaisse au hasard des routes.
- Je pense franchement qu'on va jamais réussir à se tirer de là, tu sais Jisung...
- Tais toi... J'ai mon Alpha a retrouver... Je ne l'abandonnerai jamais...
- Je te le souhaite... Je te le souhaite...
Finalement il a fallu deux jours de plus pour atteindre Séoul, et maintenant qu'ils sont dans les rues, Jisung se cache dans les plis de son vêtement pour observer le panorama qui s'offre à eux. Il ne connaît que très peu de cette ville.
- Eh l'écureuil...
Le noiraud se dégage un peu et regarde Yongbok, qui l'a donc appelé. Il gonfle ses joues, agacé du surnom que le jeune homme lui a trouvé.
- Regarde, j'crois que c'est ta tronche là bas sur le papier...
Curieux, Jisung se glisse contre son compagnon, à quatre pattes, et regarde entre deux barreaux, un panneau suspendu à la façade de l'un des Hanok qu'ils longent. Ses couleurs déjà particulièrement absentes depuis qu'il est retenu prisonnier loin de son âme-sœur, se font encore plus fades et son parfum s'acidifie lorsqu'il voit en effet une avis de recherche le concernant... Enlevé... Et l'affiche à côté de la sienne ne lui dit rien qui vaille...
- Ils recherchent Minho aussi...
- Il a l'air pas mal du tout ton Alpha.
Le petit coup de coude qui accompagne ces quelques paroles arrache un sourire au noiraud qui laisse son front tomber sur les barreaux, sans quitter le dessin de son amour des yeux.
- Il est magnifique... On dirait une statue... Il est parfaitement taillé, et son visage...
Après avoir jeté un œil à Jisung, Yongbok revient aux affiches et tend le bras au travers les barreaux qui les tiennent prisonniers. Mais il est trop juste pour réussir à arracher le papier qu'il aurait aimé offrir à l'écureuil.
- Arf... Désolé... On aura peut-être d'autres occasions...
Surpris du geste, Jisung regarde Yongbok avec une gratitude énorme malgré l'échec de la tentative, et pose une main sur son épaule pour lui signifier qu'il est tout pardonné, qu'il n'a pas à s'excuser.
Les rues paraissent interminables, pire encore quand les visages des passants se tournent en leurs directions pour les dévisager, leur jeter des regards curieux, ou pour sourire de satisfaction, selon le rang qu'ils occupent dans l'ordre des choses. Et plus ça va, et plus Jisung est recroquevillé sur lui même, la tête rentrée dans les épaules, à essayer de passer outre. L'humiliation est cuisante et il ne comprend décidément pas ce qui vaut aux oméga de vivre ce genre de chose. Ne sont-ils pas des hommes comme les autres ?
La carriole finit par se stopper, et les hommes autour descendent de selle pour leur plus grand plaisir semble-t-il. L'agitation se fait, ils dépouillent la voiture de son contenu, de tout ce qui n'est pas dans la cage de Yongbok et Jisung. Au final ils n'auront pas eu bonne pêche, et se retrouvent avec seulement deux oméga sur les bras, et pour l'instant ils n'en font même pas cas.
- Tu crois qu'on est où ?
- J'en sais rien. J'ai un peu peur de savoir à dire vrai...
Jisung hoche la tête, lui aussi a peur. L'impression que son cœur va s'échapper de son thorax est forte, et il l'entend battre à ses oreilles. Inconsciemment, le noiraud se resserre contre son compagnon et lui accroche le bras de ses mains tremblantes.
- On peut peut-être saisir une occasion pour s'en aller... ?
- Jisung, regarde autour, tu crois qu'y en a un qui nous laisserait le temps de nous tirer de là ?
Le regard du noiraud se tourne alors pour observer les alentours, et il déglutit un peu trop bruyamment. Il va leur être impossible de tenter quoi que ce soit ici, les hommes sont trop nombreux. D'ailleurs, l'un d'eux vient ouvrir leur cage pour les en sortir, et si Yongbok ne demande pas son reste, lui est condamné à attendre qu'on le détache des barreaux.
- Eh, pas tout seul avec lui, il passe son temps à essayer de se barrer.
Jisung tourne son museau en direction de Yeongbin qui vient de ramener sa grande jatte et qui lui coupe l'herbe sous le pied, même s'il ne comptait pas tenter le diable dans l'immédiat. Il plisse le nez en le regardant et il en aurait montré les dents s'il était un animal.
Avec un bruit de chaînes, les maillons cognant les uns contre les autres, Jisung grimace en sentant ses poignets abîmés par les anneaux qu'il porte le faire davantage souffrir quand on tire sur sa « laisse ». Il résiste, en appui sur les talons, freine l'avancée et tire lui même à contre sens pour ne pas avoir à sortir de là dedans pour aller il ne sait où.
- Laissez nous partir !
- Viens ici espèce de petite saloperie ! Ou j'te jure que j'loue ton cul à qui veut dès ce soir !
Le chef de la bande qui les a cueilli à parlé et devant la menace ignoble, le noiraud finit par coopérer, non sans afficher des joues écarlates à l'idée que le type mette ses menaces à exécution. Il marmonne cependant,
- Faudra déjà qu'ils réussissent à approcher sans se faire équeuter...
Un coup de cravache le cueille au bas du dos, et le fait crier tant de surprise que de douleur sous le coup cinglant. Le chef vient alors lui saisir la tignasse d'une main et lui redresse la tête pour qu'il le voit.
- Je te conseille vivement de baisser le ton avec moi, ma belle. Parce que crois moi, je te ferai pas de cadeau. Et avec une gueule comme la tienne, je pourrai me faire un sacré paquet de blé.
Il relâche sa tête en la lançant vers l'avant, donnant le ton pour le chemin à suivre. Jisung a la mâchoire tellement serrée qu'elle lui est douloureuse, mais il ne compte plus dire quoi que ce soit. A demi caché par la barrière créée par ses cheveux, il avance en suivant le pas de celui qui le précède, sans même regarder autour de lui. Pourtant il entend nombre de voix, il devine sans peine les effluves différentes qui l'assaillent, les parfums d'oméga qui doivent être prisonniers comme lui et Yongbok.
Soudain il est poussé vivement et il perd l'équilibre, ne s'étant pas attendu à ce changement de rythme. Trébuchant dans ses propres pieds, il se retrouve au sol, avant de comprendre qu'il est de nouveau dans une cage. Le temps pour lui de réagir, la porte s'est déjà refermée, et il s'accroche aux barreaux pour essayer d'ouvrir, en vain. Nul besoin de se fatiguer davantage... Ils sont de nouveau prisonniers... Le front contre les barreaux, il finit par lever le museau pour voir qu'il est loin d'être le seul, et qu'ils sont bien une vingtaine à partager son sort, dont certains en plein épisode de chaleurs.
Doucement, il se laisse glisser à genoux avant de s'adosser à la porte. Ils ne lui ont même pas retiré les chaînes qui lui pendent aux poignets...
Le chef, lui, est allé retrouver son second, resté là pour surveiller la marchandise. Il le salue avant de s'asperger d'eau et de nettoyer ses mains et ses bras, pour tenter de se libérer de la chaleur qui l'étreint.
- La pêche a été bonne patron ?
- Non. A croire qu'ils se cachent. Ou qu'ils sont en voie de disparition.
- Ça ne peut que faire monter les tarifs, c'est plutôt bon pour nous.
- Jusqu'à ce qu'on puisse plus en vendre puisqu'introuvables.
- On ira chercher ailleurs.
- Bien sûr. T'as trouvé des acheteurs ?
- Oui. Là dessus ça se bouscule.
- Tant mieux. Tu peux leur passer le mot comme quoi on a du spécial cette fois.
- Ce sera fait.
- Oh, et... Va donc chez les maréchaux. Faut que tu ramènes une affiche sur un oméga. Han Jisung. On doit voir si on l'a pas dans nos filets. Si c'est lui on va pouvoir marchander un bon prix. On demandera à celui qui le cherche de venir participer à la vente.
- J'y vais chef.
Sur ce, après avoir acquiescé le second part donc faire son office tandis que le patron s'accorde une pause bien méritée, se laissant tomber sur un coussin moelleux avec un godet de soju.
- Aaaah putain d'oméga... J'vous vendrai tous jusqu'au dernier...
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