Photos
5:30pm
Je tremble encore avec ce souvenir. Mon corps est incontrôlable. Comme si ces secousses allaient me délivrer du fardeau de son toucher. Comme si elles allaient évacuer la souillure qui m'habite, et refermer ces vilaines lésions invisibles.
Je suis allongée dans mon lit, dans le noir. Le lendemain de mon agression j'ai recouvert le miroir devant lequel Kat et moi avons passé tellement de temps. Je ne veux plus me voir. Je ne supporte plus mon reflet. Je ne me supporte plus.
Mes genoux contre mon menton, je tente de maîtriser les sanglots et tremblements. Il ne manquerait plus qu'ils m'empêchent de monter sur le toit et mener à bien cette journée. Je n'ai plus que trente minutes à vivre. La moitié d'une heure. Mon existence sera bientôt finie. Mon calvaire sera bientôt fini. Là où j'atterrirai ne pourra jamais être pire que l'enfer constant dans lequel je vis. Enfin, dans lequel je n'arrive plus à vivre.
Que penseront Dan et Pen ? Et ma mère ? Ils s'en remettront. Ils seront soulagés. Un problème de moins à se soucier. Ma mère aura bien plus de facilité à rembourser ses dettes. Elle n'aura plus à s'inquiéter pour sa fille qui pompe toutes ses ressources. Sa vie sera tellement plus facile sans moi.
J'espère que la lettre que j'ai déposée dans mon casier sera suffisante. Qu'elle leur permettra de passer à autre chose. Et condamner tous ceux qui m'ont fait tellement de mal. Ce sera une renaissance pour tout le monde. Pour le lycée. Pour mes amis, à qui je fais tant de mal. Pour moi.
Trente minutes. Vingt-neuf. Vingt-huit. Je sens mon cœur s'emballer dans ma poitrine. Je ne veux pas y aller trop tôt, si quelqu'un m'y aperçoit, mon plan sera fichu. L'heure - mon chiffre bonheur - ne sera plus la bonne, et la date sera repoussée. Je ne peux survivre à une journée de plus. Ce doit être aujourd'hui ou jamais. Mais je dois y être suffisamment en avance pour sauter à temps.
La porte est d'ordinaire ouverte. Il faudrait que j'y sois assez tôt pour trouver un plan de secours dans le cas contraire. Mais pas de stress, tout se passera bien. Comme je l'ai prévu. Ce sera la seule chose de toute ma vie qui se passera exactement comme je l'ai imaginée.
Alors que je commence à étirer mes membres pour me lever et me faire une dernière beauté pour ma mort, mon portable vibre. Je le regarde à contrecœur. Je ne veux pas d'un derniers SMS d'insultes. Ni amical. Ni rien. Je veux être seule. Mais je ne peux l'ignorer. Je regretterais de partir sans avoir lu tout ce qu'on avait à me dire.
En un réflexe durement acquis, mon pouce déverrouille mon écran. J'ai tout juste le temps d'y lire anonyme avant de me trouver sur la conversation. Mon cœur s'arrête de battre. Il ne manquerait plus que je meure d'un arrêt cardiaque vingt-sept minutes avant l'heure...
Une photo. Une simple photo. En noir et blanc. Une photo qui hante mes jours et mes nuits. Qui ne quitte jamais mon esprit. Une photo. La dernière raison de mon suicide. Et, quelque part, la toute première.
Mon visage. En gros plan. Les yeux à-demi ouvert, le regard dans le vide. Je ne vois rien, je ne pense rien. On peut voir mon air hagard. Et ce sol blanc, froid, si froid... Sur celle-ci on parvient à voir un bout de mes mains liées. Je ne sais pas quand ces photos ont été prises. Ni par qui. Ni où. Tout ce que je sais, c'est que quelqu'un les a prises. Et les détient, cachées. Je ne me souviens de rien. J'ai essayé. Mais rien.
Ces photos ont commencé à apparaître une semaine après la vidéo. Une semaine après mon blackout. Une semaine après cette perte de mémoire qui m'aura tant coûté. Ces évènements sont reliés. La coïncidence est trop forte. Trop évidente.
La personne m'envoie ces photos de manière aléatoire. Quand je suis seule, pour me rappeler que je ne suis nulle part en sécurité. Quand je me détends, pour me rappeler la menace. Quand je suis au milieu d'une foule, pour me rappeler qu'elle me regarde et m'observe. En permanence. Je suis sienne.
Je ne sais pas ce qui me dérange le plus. Ces photos, prises contre mon gré, ou le fait que je ne me souvienne de rien. Que s'est-il passé dans cette salle ? Qui était cette personne ? Un homme ou une femme ? Que m'a-t-elle fait de plus ?
La première photo m'a fait perdre mon corps. À partir de ce jour, il a définitivement cessé de m'appartenir. Quelqu'un d'autre en avait la possession. Et pouvait y faire ce que cette personne désirait. Tout ce qu'elle voulait. J'en étais prisonnière. Quels souvenirs gardait-elle ? Et pourquoi ? Pourquoi me faire ça ? Pourquoi à moi ?
J'avais peur que quelqu'un découvre ces photos. Qu'elles sortent au grand jour. Je n'en ai jamais parlé à personne. Je ne voulais pas qu'on me voie aussi vulnérable. Aussi faible. Dan n'en sait rien. Ma mère n'en sait rien. Et pas question d'en parler à la police. Ils ne manqueraient de pointer du doigt ma consommation d'alcool et ma conduite irresponsable. Je ne pouvais endurer ça.
J'ai lentement commencé à remonter le fil de ma soirée. J'ai bu trois bières. Puis j'ai perdu la mémoire. Alors qu'une bière et un shot - sûrement plus puissants que trois bières - ne m'ont pas affectée à ce point. Je suis restée au lycée un moment. J'ai embrassé plein de garçons. Et de filles.
Puis je me suis retrouvée dans cette pièce. Qui m'a emmenée et quand, je ne sais le dire. Personne ne peut le dire. Puis à marcher en pleurs vers ma chambre. Mon maquillage est toujours intact sur la photo. Quand ai-je commencé à pleurer ? Après quel évènement ?
« Kay, il faut qu'on parle de cette vidéo. »
Pen était venue me parler deux jours après la fête. Le lendemain de la parution de la vidéo. J'étais dans un état misérable, mais j'avais encore de l'espoir. J'étais encore moi. Désespérée, mais moi. Dans mon corps. Qui m'appartenait encore.
« Tu veux qu'on parle de quoi ? Que tu ne veux plus être vue en ma présence à cause de ça ? Que tu ne peux plus me supporter, moi et ma conduite ? »
Perdre Pen me semblait difficile à cette époque. Mais moins qu'aujourd'hui. Je ne dépendais pas encore de sa présence. Et je pensais me réconcilier rapidement avec Kat. Les effets de la vidéo ne pourraient pas durer, n'est-ce-pas ?
« Non. Je suis venue te demander si tu te souvenais de quoi que ce soit. D'avoir embrassé toutes ces personnes... » reprit-elle en baissant les yeux. Elle était incapable de me regarder en face. Je crois qu'aujourd'hui je lui en aurais voulu pour ce geste et l'aurait rejetée, quelles que soient ses intentions. À l'époque, à peine deux mois auparavant, je lui étais trop reconnaissante de me laisser le bénéfice du doute.
« Non. Rien. Tout ce dont je me souviens, c'est de boire une dernière bière, puis de marcher, mes chaussures à la main, en larmes, vers la résidence.
- Tes chaussures à la main ? En pleurs ? Que s'est-il passé ?
- Je ne sais pas. Je n'ai aucun souvenir. Toi aussi tu as dû avoir un blackout dans ta vie. Tu sais ce que ça fait. »
Pen pinça les lèvres. Ma réponse ne convenait pas. Et je crois que mon manque d'implication l'irritait. Mais je ne voulais pas me souvenir. On dit que le cerveau efface de notre mémoire les moments les plus déplaisants. Si c'était le cas, je ne voulais pas faire face à ces évènements horribles, et je me portais bien mieux dans l'ignorance. Plus aujourd'hui. J'ai besoin de savoir. Mais les réponses me sont inaccessibles. Voilà pourquoi je veux partir. Plutôt mourir que de vivre dans l'ignorance un instant de plus.
« Combien as-tu bu ce soir-là ?
- Trois bières. Je sais, c'est peu, mais je ne bois jamais. Je dois avoir une tolérance très basse. »
Haussement d'épaules. Je ne voulais pas plus creuser. Mais Pen n'avait pas dit son dernier mot.
« Kay, personne ne fait un blackout après trois bières. Même pas quand c'est la première fois que tu bois. »
J'haussai de nouveau les épaules en me détournant. Je voulais apparaître sereine et désintéressée. Mais, intérieurement, mon cœur martelait mes côtes. J'avais peur. Tellement peur. J'avais déjà tiré les mêmes conclusions que Pen. Mais je ne voulais pas savoir.
« Qui t'as servie ton dernier verre ?
- Je ne sais plus... le barman je crois. C'est le plus logique. »
Ne pas se souvenir. Ne pas se souvenir. Bloquer tout ce qui pourrait remonter. J'avais juste trop bu. Rien d'autre. Juste un trop plein d'alcool.
« Est-ce-que tu te souviens avoir vomi ? »
Je secouai la tête. J'avais vomir en horreur. Un tel acte m'aurait sortie de ma torpeur. Voilà un souvenir désagréable que mon cerveau ne bloquerait pas, j'en étais certaine.
Pen pinça les lèvres et se tritura les mains. Je voyais dans son regard des innombrables pensées traverser son esprit. Des suppositions, des hypothèses, des explications. Je savais ce à quoi elle pensait. Mais je ne voulais pas savoir. Rester dans l'ignorance. Me protéger.
Depuis cette discussion, mes yeux rouges, mon air hagard, ma faiblesse musculaire couplés à cette perte de mémoire ont revêtu un tout nouveau jour. Une toute nouvelle explication. Une que je ne voulais même pas concevoir.
« Je t'ai vue discuter avec Travis, ce soir-là » avança Dan lors d'un de nos déjeuners. Lui et Pen se plaisaient à aborder le sujet, quelques fois. Ils savaient à quel point leurs questions m'exaspéraient, mais ne pouvaient s'en empêcher. Au moins on me rappelait cette journée, au mieux je me portais...
« Oui, et alors ? Il a toujours été sympa avec moi. Encore aujourd'hui. Son regard sur moi n'a pas changé. On est loin d'être amis, ceci dit. »
Tous deux ont échangé un regard éloquent. J'ignorais peut-être de quoi ils discutaient sans moi, mais la discrétion n'était pas leur fort.
Et avec l'apparition des photos - que je me gardais bien de leur montrer - j'avais encore moins envie d'en parler. Je n'aurais pas supporté de suspecter un de mes camarades de classe. De poser un regard méfiant et apeuré chaque fois qu'ils entraient dans mon champ de vision. Plus encore avec quelqu'un qui partageait mon cours de photographie.
« Dis Pen, tu savais que les traces de drogue pouvaient se voir dans les cheveux des mois après leur ingestion ?
- Tu m'apprends quelque chose, Dan ! »
Je levai les yeux au ciel. Il n'était pas question que leurs remarques viennent gâcher mon chocolat chaud. Si Pen était une actrice remarquable, Dan était un bien piètre comédien. Je compris pourquoi il faisait partie de l'équipe de basket et non de la troupe de théâtre du lycée...
Et puis voilà. La bombe avait explosé. Drogue. Ce nom qu'ils avaient eu en tête pendant des semaines et qu'ils osaient enfin exposer au grand jour. Cette solution miracle. La réponse à toutes les questions. Mais j'ignorais la remarque d'un geste de main. S'ils croyaient vraiment que je n'y avais pas pensé, ils se mettaient le doigt dans l'œil. L'idée m'avait obnubilée pendant un moment. Mais la réponse était non, je n'avais pas été droguée. Je l'aurais sentie dans ma bière. Personne ne m'avait droguée, point à la ligne.
Je les voyais bien, tous les deux, fouiner un peu partout dans le lycée et auprès d'autres élèves pour apprendre les moindres détails de la soirée. Rentrer dans les chambres d'autres élèves pour trouver des preuves. Rechercher sur Google des détails et glaner quelques informations qu'ils reportaient sur papier. Discuter en pointant tous les élèves du doigt. Demander autour d'eux s'ils avaient vu qui tenait la caméra. Avec qui j'étais partie. Comment j'étais revenue. Mais, tout comme Pen était perdue dans les bras de Jo et Dan avec une autre fille, mes camarades étaient trop occupés à s'amuser pour réellement se préoccuper de mon sort.
Ils n'ont jamais tiré aucune conclusion devant moi. Ils ne m'ont jamais rien dit. C'est qu'il n'y avait rien à découvrir. Rien d'inquiétant, rien qui sortait de l'ordinaire. C'était rassurant. Je n'avais été qu'une autre victime d'une énième fête. Rien de plus. Et c'était assez difficile à gérer comme ça.
Et pourtant, ces photos m'obnubilaient. J'essayais de découvrir le moindre détail qui aurait pu me donner un indice sur le lieu où je me trouvais. Analyser mes pupilles pour essayer d'apercevoir la silhouette du photographe. Combien de nuits ai-je passé à faire des crises de panique dans mon lit, incapable de bouger, incapable d'émettre le moindre son, incapable même de respirer ? Ces photos me hantaient jour et nuit. Personne ne devait les voir.
Dans les couloirs, j'analysais chaque regard. Qui était assez taré pour prendre une fille en photo de cette manière ? Qui avait un esprit assez tordu pour prendre l'avantage d'une lycéenne bourrée ? Un élève ou un professeur ? J'essayai de trouver des indices dans les portfolios de mes camarades. Après tout, cet élève suivait certainement les cours de photographie du lycée. Mais ça ne correspondait à rien ni personne. Ni à mon professeur et ses clichés avant-gardistes, ni à ceux rétro de Stella, ni les paysages impressionnants de Travis. La seule élève de ce cours qui comptait se spécialiser dans ce genre de portraits était moi.
Adrian ? L'élève du lycée d'à côté ? Il aurait très bien pu s'introduire à une fête du lycée. Vu la qualité des photos, l'appareil devait valoir des milliers. Appareil qu'un élève d'un lycée privé assez coûteux pour imposer son propre uniforme aurait pu posséder.
Et encore une fois, je n'aurais jamais pu vérifier. Je ne cessais de me remémorer son regard perçant qui semblait si bien me connaître. Cette familiarité qui me donnait l'impression d'avoir été exposée à ses yeux maintes fois auparavant. Des frissons désagréables remontèrent le long de mon échine. Adrian était la solution la plus acceptable. Il était loin et ne pouvait me toucher. Ne pouvait me voir tous les jours. Lui échapper était facile.
Et pourtant, cette petite voix en moi me disait que ce n'était pas le cas. Qu'il y avait certainement une autre explication. Que je pourrais faire payer le coupable... Mais qui ?
Je m'étais promis ne pas laisser ces photos envahir ma vie. Ne pas les laisser me guider, ne pas me traumatiser. La vidéo avait fait assez de dommages comme ça. Et pourtant... sous leur menace constante et sans rien savoir de leur origine, c'était impossible. Le mal était fait.
Pour mon cours de photographie, nous avions tous des exercices différents à accomplir. Pour approfondir notre style, nous exercer sur ce que nous devions faire. J'avais obtenu de Pen qu'elle soit mon mannequin pour la semaine. Nous travaillions sur le jeu d'ombres et de lumières. Je comptais la photographier à l'extérieur sous le grand soleil de début de printemps, et à l'intérieur dans le studio du lycée. D'ordinaire les personnes que je choisissais étaient toujours mal à l'aise devant l'objectif. Pas elle.
Je me rappelle qu'elle avait tenu à ôter ses chaussures et chaussettes, sous prétexte de pouvoir profiter du sol chauffé pour une fois qu'elle était exemptée d'obéir aux règles du lycée. Sa décontraction m'avait beaucoup fait rire. Elle écoutait chacune de mes directives, mais sa bonne humeur et sa malice ressortaient sur chacun des clichés. J'aurais pu la photographier pendant des heures.
Puis j'ai passé mon appareil en mode nuances de gris et j'ai réglé le flash. Puis je me suis rapprochée de son visage. Regard doux, malicieux, puis rêveur, perdu dans le vide... je sentais l'anxiété monter en moi à chaque cliché. J'étais mal à l'aise. Je ne pouvais agir de la sorte. Chaque cliché me renvoyait à chaque photo envoyée. Mes doigts tremblaient sur l'appareil, mes muscles faiblissaient, mes sourcils se fronçaient et ma lèvre se mit à trembloter. C'en fut trop. Alors que Pen faisait un travail remarquable, je me suis subitement retournée pour ne pas exploser. Cette intimité, c'était trop, beaucoup trop.
« Qu'est-ce-qu'il se passe, Kay, quelque chose ne va pas ? J'ai fait quelque chose de mal ? »
Sa voix était emplie d'anxiété. Mon dos lui faisait face, je ne voulais pas qu'elle voie ma faiblesse. Je n'étais pas prête.
« Non, tu es parfaite... »
J'avais essayé de maîtriser ma voix, mais les aigus peu naturels et son chevrotement ne la trompèrent pas. Elle lisait en moi comme dans un livre ouvert.
« Kay, on sait que tu nous caches des trucs à Dan et moi. On ne peut pas t'aider si tu n'es pas sincère avec nous. »
Les larmes me brulèrent les yeux. Elle ne pouvait pas me voir ainsi, aussi vulnérable, aussi dégoûtante. Elle m'abandonnerait là si elle savait. Personne ne devait voir. Mais mon silence fut bien plus éloquent que n'importe quelle réponse.
« Kay... »
Elle posa sa main sur mon épaule. Ce fut comme si des milliers de couteaux me tranchèrent la peau. Je me dégageai de son emprise et m'éloignait contre le mur. J'haletai. C'était trop. Je ne voulais pas qu'on me touche sans mon consentement. Je ne voulais plus qu'on m'impose quoi que ce soit.
« Kay, parle-moi. »
Je l'avais blessée. Profondément. Mes bras repliés sur ma poitrine, je me sentis glisser le long du mur pour m'asseoir sur le sol. Pen avait raison, il était étrangement tiède. Je fermai les yeux et tentait de repousser toutes ces images.
« J'ai commencé à recevoir des photos. De moi. Prise pendant ma perte de mémoire. Je ne sais pas qui me les envoie, il n'y a pas de numéro. »
Voilà. C'était dit. Pen s'assit à côté de moi et essuya une première larme. Puis elle me prit dans ses bras. Je reposai ma tête sur son épaule. J'aimais toujours ses étreintes. J'y étais en sécurité.
« Quelqu'un pourrait essayer de remonter jusqu'à son envoyeur. Il faudrait juste que tu nous laisses ton portable pour un moment...
- Non. Personne ne doit les voir. Ni même Dan, ou toi. Comprends-moi... » la suppliai-je. Laisser cette arme entre les mains d'un inconnu était trop dur. Trop dangereux.
« D'accord, souffla-t-elle à mon oreille. Tu n'as rien à craindre. »
Je ne sais pas combien de temps nous sommes restées là. Sûrement plus longtemps que la durée pour laquelle j'avais réservé le studio. Mais personne ne vint nous interrompre.
Je ne sais pas si Pen en a parlé à Dan. Ils n'ont jamais abordé le sujet, du moins pas devant moi. Je sais qu'ils ont essayé de remonter jusqu'à la personne qui a posté la vidéo, mais l'analyse du compte YouTube n'a rien donné, et la vidéo a été postée depuis un compte libre d'utilisation des ordinateurs du lycée. La personne était maline. Ça pouvait être n'importe qui, ou presque...
J'avais passé ma vie à étudier les portraits. À apprendre comment les prendre, comment mettre en valeur une personne. Je ne connaissais rien aux paysages ou autres mises en scène. J'avais toujours adoré cette technique et ce cadrage. Ces photos ont tout détruit. Depuis, chaque nouveau cliché me donne l'impression de pénétrer l'intimité d'une personne. Trop loin. Trop profondément. De la violer, comme je me suis sentie violée, à trois reprises. Je ne savais plus que faire. Sans la photographie, je n'étais rien. Sans portrait, je ne me sentais plus digne d'être photographe. Et je n'avais plus la force d'en prendre. Je n'avais plus de rêve, plus de possibilité. Je n'étais plus rien.
Et puis, j'ai finalement dû me rendre à l'évidence. Tout m'y ramenait. Pendant cette soirée, j'avais été droguée. Il ne faut pas être un as d'internet pour trouver quelles substances permettent d'arriver à un tel résultat. Et parmi celles qui auraient pu être utilisées, la drogue du violeur. Une appellation qui me hante chaque jour. Drogue du violeur. Viol. Je me sentais déjà violée suite à la prise de ces clichés mais... si c'était vraiment arrivé ? Si cette personne m'avait réellement...
Je ne peux me résoudre à le croire. Et pourtant cette pensée est omniprésente. Partout où je vais. Quoi que je fasse. Et si quelque chose avait été à l'intérieur de mon corps ? Je ne peux m'en débarrasser. Plus encore depuis que Tyler m'a agressée. C'en est trop pour moi. Trop à encaisser. Je ne peux pas vivre avec tant d'incertitudes. Cette amnésie m'a déjà trop pris. Jusqu'à ma vie.
Mon portable sonne. Cinq heures quarante-cinq de l'après-midi. Quinze minutes. L'acte final est arrivé. Je me lève doucement. C'est l'heure. L'heure de ma mort. Il est temps que j'y aille.
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Désolée pour le retard de publication, mais hier je n'ai pas pu mettre ce chapitre en ligne. Prochain chapitre lundi prochain, promis :)
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