𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟏𝟖


𖤓

ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
MARTYRS




S01E20
petit spoiler




             En ce moment précis, tout allait bien. Les yeux clos, elle ne voyait rien, se contentant de sentir la caresse des rayons du soleil sur son visage. Cela lui faisait du bien. C'était reposant. Apaisant.

             La fine couverture en coton que lui avait prêtée Petra couvrait son corps jusqu'à la taille, là où le soleil ne l'atteignait plus. Les sensations étaient agréables. Une douce chaleur couvrait l'entièreté de son corps qui semblait flotter tant le matelas en-dessous était confortable.

             Au loin, elle entendait le doux chant des oiseaux. Mélodieux. Apaisant. Ce son et la façon dont les rayons du soleil tombaient sur elle lui indiquait qu'il était aux alentours de midi. Elle sourit en se disant qu'Eddie devait être levé depuis longtemps, lui qui était si matinal. Son sourire se fana. Eddie n'était plus là.

             Elle ouvrit les yeux et vit le plafond au-dessus d'elle. Blanc. Ennuyeux. Sa vision de celui-ci devint soudain trouble. Elle ne parvint plus à voir à quelle distance il se trouvait d'elle à cause de cela. Elle comprit qu'elle pleurait quand une larme, roulant du coin de son œil à sa tempe, alla s'insinuer désagréablement dans son oreille.

             Elle ne se redressa pas. Elle n'osait pas. Le château étant bien trop silencieux compte tenu de l'heure avancée, elle eut peur le temps d'un instant. Peur de réaliser que d'Eddie à l'escouade Levi, tout n'avait été qu'une illusion. Elle en avait déjà assez de ce mot. Illusion. Etymologiquement, il signifiait « se moquer de ». Et en effet, son cerveau s'était joué d'elle.

             La tristesse l'avait faite pleurer durant longtemps, la veille. Des heures. Même si elle eut le sentiment que cela avait duré des années. Elle avait tenté d'étouffer ses sanglots mais savait que Petra l'avait tout de même entendue. Mais la rousse n'avait rien dit. Et Emeraude lui en était reconnaissante.

             Après cela, elle était tombée comme une masse dans son lit. Le visage tordu de douleur, elle s'était laissée emporter par un Morphée miséricordieux. Le temps d'une nuit ou plus, il l'avait enfermée dans ses bras et éloignée de la triste réalité.

             Mais était-ce vraiment la réalité ? Oui. Elle avait besoin que ce ne soit pas le cas mais savait, au fond d'elle, que ça l'était. Eddie était mort. Depuis plusieurs années maintenant. Son corps n'aurait pas exprimé tant de souffrances, ses yeux n'auraient pas laissé couler tant de larmes et sa gorge hurler si fort si la vérité n'avait pas été ce que Levi et Erwin lui avaient, la veille, déclaré. Ses organes eux-mêmes le savaient.

             Edward et elle étaient nés d'une union qui avait connu une fin tragique. Son père, désireux de nourrir son premier enfant, s'était engagé dans l'armée. Les soldats étant payé par l'état, il était ainsi sûr de pouvoir approvisionner ses proches. Sa femme avait souhaité faire de même. Etant alors enceinte de plusieurs mois, elle n'avait pas obtenu l'autorisation du gouvernement de prendre les armes et s'était contentée de se faire embaucher chez un couple de marchands habitant leur patelin.

             La venue de l'ainé avait été particulièrement bien accueillie. L'homme était rentré dans la petite maison qu'ils étaient parvenus à dégotter pour l'évènement. Huit années s'étaient écoulées où la vie avait paisiblement suivit son cours : il partait régulièrement rejoindre son corps d'armée qui était la garnison mais leur rendait une visite mensuelle. Elle, de son côté, travaillait aux côtés des Foster. Elle avait même fini par tomber enceinte une seconde fois.

             Seulement, dès lors, tout avait empiré. Un jour, en saluant le coursier qui venait très rarement dans leur village du fait de la localisation éloignée de celui-ci, elle avait remarqué son air grave. Il tenait à la main une lettre frappée d'un sceau. Deux roses entrelacées. La garnison. Elle avait tout de suite compris.

             Jamais elle n'avait su comment il était mort. En service, servant vaillamment l'humanité, selon le rapport. Mais aucun détail n'avait été révélés. S'il était récurrent d'apprendre le décès des soldats du bataillons d'exploration qui étaient souvent amenés à croiser la route de titans, il était bien plus rare d'en apprendre de ceux de la garnison.

             Elle n'avait pas pris la peine d'enquêter. Dévastée. La tristesse l'avait affaiblie considérablement et la pauvreté avait ensuite prit le relais lorsque ses employeurs l'avaient remercié. Son état ne lui permettait plus de s'occuper correctement du ménage et ils avaient le sentiment de la payer à ne rien faire. Son accouchement l'avait achevée.

             Voilà pourquoi Emeraude n'avait jamais connu que son frère et le vétéran. Ils ne voyaient ce dernier que rarement mais étaient toujours ravis de converser avec lui. Les autres villageois ne les appréciaient pas, considérant la jeune femme comme un mauvais présage. Dès lors que sa venue avait été annoncée, ses parents étaient morts l'un après l'autre.

             Elle aurait dû les suivre mais Eddie avait veillé sur elle. Durant des années, il avait volé un maximum de nourriture à droite à gauche et ils s'étaient longtemps débrouillés pour trouver chaque soir une maison vacante où s'infiltrer pour dormir. Même s'ils avaient pu s'attirer nombre d'ennuis, ils avaient survécu en se serrant les coudes.

             A ses dix-neuf ans, alors que cela faisait sept ans qu'il avait l'autorisation de s'y rendre, le blond s'était finalement engagé pour l'armée. Ayant remarqué une certaine instabilité émotionnelle chez sa jeune sœur, il avait décidé de briser leur accord et de ne pas s'enrôler avec elle. Une dispute avait éclaté mais elle avait fini par obtempérer. Juste après lui avoir fait promettre de ne pas devenir un martyr, elle l'avait regardé s'en aller fièrement.

             Durant cinq ans, elle ne l'avait plus revue. Continuant leur routine d'entrainements grâce au matériel que le vétéran leur avait donné longtemps auparavant, elle s'était débrouillée seule en volant et squattant. Sa réputation n'en avait été que davantage entachée mais elle s'en était fichue royalement. Elle ne vivait à l'époque que pour le jour où son frère rentrerait à la maison. Hélas, ce jour n'arriva pas.

             Le mur Sina fut brisé et, là, elle avait senti son cœur faire de même. Eddie n'avait pas cessé de lui répéter —et l'escouade Levi avait fait de même plus tard— qu'elle avait un sixième sens hors du commun, un instinct surdéveloppé. Sans doute est-ce grâce à celui-ci que, en cette après-midi d'été, elle avait réalisé l'infâme vérité. Au moment exact où son frère avait murmuré ses tous derniers mots à l'intention du caporal, elle avait poussé un hurlement de douleur qui avait déchiré la forêt où elle s'entrainait alors.

             La douleur avait été intense, presque insurmontable. Comme une flèche tirée en plein cœur, elle l'avait saisie à un point tel qu'elle était tombée de son cheval. Sa tête avait heurté un tronc d'arbre et, des heures plus tard, elle s'était réveillée sans aucun souvenir des cinq dernières années.

             Elle s'en souvenait, maintenant. Allongée dans l'herbe, face contre terre, la voix d'Eddie l'avait tirée de son sommeil. Au loin, elle l'avait entendu crier son nom à maintes reprises. Elle s'était relevée avec peine, lui signalant d'une voix faible qu'elle était près de la lisière du bosquet et qu'elle avait chuté.

             En touchant son bras, elle se remémora avec quelle douceur il l'avait étreinte en voyant du sang couler depuis sa tempe, balbutiant qu'elle devait souffrir beaucoup et qu'ils allaient voler à Louise de quoi la soigner. Que tout allait bien se passer.

             Alors, depuis ce jour-là, chaque fois que j'ai étreins Eddie, que je l'ai écouté raconter des bêtises et que je l'ai regardé rire... Tout était dans ma tête ? songea-t-elle tandis qu'une larme roulait sur sa joue.

             Elle n'arrivait à retenir cette information. A chaque instant, elle devait se rappeler de ce qu'était la vérité comme si son cerveau ne cessait de l'effacer. Pour son bien. Sans doute était-ce la raison pour laquelle chaque seconde était encore plus douloureuse que la précédente.

             Elle se redressa enfin. Otant son drap de coton d'un geste désintéressé, elle posa ses pieds sur la terre ferme et prit une inspiration. Celle-ci envahit la pièce. Elle n'entendait que ça. Son propre souffle. Un éternel rappel qu'elle était en vie et lui, non. Elle se leva.

             D'un pas las, elle se dirigea dans le couloir sans prendre la peine de s'habiller. Elle était pieds nus et n'avait pour seul vêtement que la chemise de son uniforme mais elle s'en fichait bien. Le château était silencieux. Elle devait être seule. Sans doute l'était-elle depuis un mois, qui sait ? Elle eut un rire sarcastique à cette pensée. Tout pouvait n'être qu'illusions.

             Soudain, elle se rappela de la mission extra-muros. Elle comprit pourquoi il n'y avait personne avec elle. Elle ne fut même pas agacée que ses amis ne l'aient pas réveillée avant de partir. Elle se doutait qu'ils avaient tenté de le faire mais que le caporal s'était interposé, estimant qu'elle avait besoin de repos.

             Elle arriva au réfectoire d'un pas mou et dénué de tout entrain. Elle n'avait aucune envie de faire quoi que ce soit à part se rouler en boule et pleurer. A chaque instant, elle se rappelait le fait qu'Eddie n'était plus. Et elle semblait l'oublier tout de suite après. Là était la partie la plus douloureuse. Le souvenir de la vérité qui revenait sans cesse.

             Ses membres ne tremblaient plus, elle était de nouveau stable. Trop stable. Rigide. Elle n'avançait qu'à petits pas, comme si ses membres étaient atrophiés. Chaque geste lui faisait mal mais elle ne pouvait pas demeurer sur le seuil du réfectoire éternellement.

             Ses yeux se promenèrent sur les tables désertes et son menton eut un soubresaut. Elle avait besoin d'aide. Il n'y avait personne. Elle haïssait la solitude plus que tout autre chose. Elle retint une larme qui menaçait de couler sur sa joue.

             Pas à pas, d'une lenteur affligeante, elle se déplaçait. Fixant une table de ses yeux profonds, elle tremblait à mesure qu'elle en approchait. Ses pieds semblaient se mouvoir dans un temps infini, les secondes être étirées. Sans doute ses larmes avaient-elle tellement coulé que les graines du sablier, humidifiées, ne tombaient plus.

             Il ne lui fallait franchir qu'un mètre. Un grand pas qui, d'ordinaire, lui aurait été facile et rapide à esquisser. Mais aujourd'hui, tout semblait insurmontable. En une conversation, sa vie avait pris un autre tournant. Un virage qui semblait vouloir la plonger tout droit dans les méandres d'un tunnel sans fin.

             Une fine pellicule couvrait maintenant son front et elle songea de nouveau à Eddie. Mais cette fois-ci, le visage de son frère ne fut pas le seul à lui venir en tête. Hanji, Erd, Petra, Auruo, Gunther, Erwin, Levi... N'importe qui. Elle aurait aimé que n'importe qui lui tienne la main en cet instant précis, traçant des formes circulaires sur le dos de celle-ci en lui murmurant des mots apaisants. Mais nul n'était là. Elle était seule.

             Enfin, elle parvint à la chaise la plus proche de la porte. Tremblante et nauséeuse, elle tendit la main vers l'objet en sentant ses jambes devenir flageolantes. Il fallait qu'elle s'asseye et ce, de toute urgence. Quelque chose d'étrange naissait en elle.

             Soudain, l'interrompant brutalement dans son geste, un spasme. Vif, il venait de secouer son corps, donnant une impulsion à sa tête qui lui fit soudain atrocement mal. Un acouphène transperça ses oreilles mais elle n'eut la force de plaquer ses mains sur celles-ci pour l'amortir. En elle, une grande détresse venait de naitre. Venant du plus profond de ses entrailles, elle remontait doucement jusqu'à sa tête pour l'engloutir, la noyer dans son être.

             Les lointains chants des oiseaux se firent encore plus lointains, comme si une vitre la maintenait éloignée de tout. Une cage. Son corps. Il était son tombeau. Ou plutôt, celui de celle qu'elle était hier. Insouciante et désireuse de retrouver son frère, convaincu que celui-ci était en vie.

             Mais là, en cet instant précis, elle sut que les différents maux qu'elle ressentait n'avait rien avoir avec Eddie. Non, au plus profond d'elle, elle savait que ce qui l'agitait ainsi était tout aussi grave mais bien plus récent. A vrai dire, elle se doutait même que ce qui lui faisait tant mal se passait en ce moment même et, tremblante, elle ne faisait que le subir. Impuissante.

             Soudain, ses jambes déjà flageolantes cédèrent sous son poids et vinrent claquer le sol en pierre. Elle ne se préoccupa nullement de la douleur physique qu'elle ressentit à ce contact. Les bras le long du corps et le nez levé vers le ciel, elle laissa couler une larme de ses yeux et s'échapper un cri de sa bouche.

             Encore plus fort que la veille, cognant les murs jusqu'à les zébrer et déchirant le ciel en deux, deux parties irréconciliables, deux morceaux de vie à jamais distincts, son hurlement venait de retentir. Sa puissance lui griffa la gorge et lui brûla les poumons mais elle s'en fichait bien. Subitement, la douleur née il y a quelques minutes au plus profond de son être s'était muée en une tornade déferlante.

             Elle resta ainsi durant quelques secondes, ne sachant quoi faire d'autre à part subir les messages que lui envoyait son instinct, ne pas comprendre leur contenu mais réaliser à quel lot de souffrance ils étaient rattachés. Puis, d'une voix faible, presque éteinte, elle murmura entre ses lèvres rougies :



— Quelque chose de terrible vient de se produire.







Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top