𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟗𝟒
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𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄 𝟗 𝟒
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Silencieux est le ciel déclinant. Nous ne faisons aucun bruit lorsque, à toute allure, Toji fend l’air et se dirige vers une fenêtre du château.
— Accroche-toi, ma belle.
Me blottissant contre lui, je me crispe de toutes mes forces et ferme les yeux. Peut-être est-ce ce lien si singulier unissant les âmes sœurs qui me permet de si bien le comprendre, seulement je sais exactement ce qu’il compte faire.
Un fracas épouvantable retentit lorsque nous percutons le vitrail. Les lèvres closes, crispée, la tête rentrée dans les épaules, je me retiens de crier. Le bruit du verre se brisant et de ses éclats tombant au sol est tel que qu’il me semble que le monde entier entend notre arrivée.
Les lueurs du soleil se couchant laissent brutalement place à une obscurité. Derrière mes paupières closes, je vois la luminosité baisser brutalement et, quand le silence revient, je me détends enfin.
Toji a posé pieds à terre. Ses bras me portent toujours tandis qu’il regarde autour de lui, vérifiant que personne ne rapplique pour nous attaquer.
— Bordel, qu’est-ce qu’il s’est passé, ici ?
La question du noiraud attise ma curiosité et, posant pieds sur le sol, je recule afin de regarder le couloir dans lequel je suis.
Quelques battements de cils me sont nécessaires pour m’habituer à la luminosité. Marchant en arrière, je plisse les yeux quand, soudain, mon talon percute un objet, sur le sol. Trébuchant, j’agite les bras à toute vitesse et, me retournant dans ma chute, me réceptionne sur les genoux.
Mon cœur tambourine après la chute. A tel point que je mets quelques secondes avant de jeter un œil à l’obstacle qui m’a fait tomber. Tournant la tête vers la masse sombre que je devine, du coin de l’œil, je découvre alors l’horreur du corridor.
Ma lèvre tremble et je hoquète.
Assis sur le sol, dos au mur, le cadavre me fixe de ses yeux vitreux. La mâchoire tombant sur sa poitrine et la tête chancelant, il ne bouge pas. Une odeur putride se dégage de son corps et, avec horreur, je réalise que sa plaie à la tête bouge. Elle remue.
Là, à l’endroit où une épée a fendu son crâne, à la fente séparant sa tête et laissant voir sa cervelle, quelque chose grouille.
Des asticots et vers rongent la chair.
De la bile remonte dans ma gorge et je recule à toute vitesse en reconnaissant l’uniforme de la Garde Impériale. Me trainant sur le sol, je mets le plus de distance possible entre moi et le corps.
Seulement, à mesure que je m’éloigne, d’autres entrent dans mon champ de vision. Un pêle-mêle de corps sans vie s’entasse dans l’allée, en-dessous de murs maculés d’éclaboussures de sang.
Des épées, flaques d’hémoglobines, morceau de cervelles, éclats de verre et os jonchent le sol. J’entends ce dernier craquer sous les pieds de Toji qui ne peut faire autrement que marcher sur des vestiges des affrontements tant ceux-là sont omniprésents.
— Que… Il les a fait exécuter…
Tournant la tête, je regarde Toji.
Immobile, il se tient. Tétanisé, il regarde la pile de cadavres s’entassant dans l’allée, ces soldats, fils, pères, frères à qui l’on n’a même pas daigné offrir une sépulture décente. Alors que les morts n’étant pas inhumer selon la tradition ne peuvent accéder aux Enfers.
— Il les a fait exécuter, répète-t-il, en utilisant mon enfant.
Sa voix vacille. Dans l’obscurité, il me semble distinguer une larme, brillant sur sa joue.
— Il s’est servi de mon bébé.
Ce dernier mot m’arrache un frisson et, les mains tremblantes, sans même me soucier de la guerre, à l’extérieur, je farfouille mon sac. Là, je tombe sur ma bourse.
Mes doigts sont pris de spasmes si violents que je la fais tomber au sol lorsque je tente desserrer ses cordages. Seulement, entre deux frissons, je parviens à l’ouvrir. Là, je saisis une pièce.
A quatre pattes, avec parfaite conscience qu’il nous faut aller nous battre mais sans aucun souci de cela, je me traine jusqu’au corps de l’homme. Puis, glissant les doigts par-dessus sa mâchoire tombante, je dépose une pièce sur sa langue.
Aussitôt, je me traine jusqu’à celui d’à côté. J’en dépose une autre. Puis une autre. Sans que Toji bouge. Je place jusqu’à mon ultime sou.
Seulement, il reste un corps. Un seul. A qui je n’ai pu donner la moindre monnaie pour payer Charon.
Ma gorge se bloque et un frisson s’empare de moi. Une larme coule le long de ma joue sans que je ne puisse empêcher mes pensées de glisser vers les Enfers, leurs murs sombres, le fleuve de feu et, surtout, ces squelettes qui me poursuivaient. Ses morts que j’aurais pu côtoyer pendant des millénaires.
Non. Je ne peux pas. Nul ne mérite un tel sort.
— T… Toji ? Tu aurais une pièce ? Il me faut une pièce. Toji, il m’en faut une. S’il-te-plaît.
Face à son silence, je me retourne. Là, je le découvre, planté devant un meuble de verre. Tout en longueur, aux bordures de bois, l’une de ses faces en cristal laisse voir l’intérieur du caisson. Etrangement, il semble le seul rescapé de ce couloir en ruine.
Je ne peux distinguer ce qu’il contient cependant, le noiraud semble captiver.
— Il y en a une, ici…, chuchote Toji à mi-voix.
Me levant, je le suis, prête à atteindre ce survivant, debout dans le champ de ruines, au milieu des tableaux éventrés et statues brisées.
Seulement, à l’instant où je me place devant, je comprends la raison de sa stupéfaction.
Deux lames d’argent surmontées d’un manche enroulé d’un tissu rouge. Deux sabres. Posés l’un à côté de l’autre. En-dessous, gravé en noir dans une plaque d’or, une inscription les désigne.
« Les sabres de la Prêtresse Nime. »
Un frisson me parcourt.
Mes doigts tremblent. Durant la brève époque où j’ai vécu ici, je suis passée devant cet étagère, sans jamais lui prêter la moindre attention. Jamais je n’ai lu cette plaque ni réalisé que mon passé, dit grandiose, se trouvait en parti sous cette plaque de verre.
Plus loin, une pièce d’or brille effectivement.
— La pièce de Nime ? je lis à haute voix.
— Une légende raconte qu’un homme t’a demandé, il y a fort longtemps, d’assassiner une partie de son propre village. Telle a été ta rémunération. La pièce la plus onéreuse de notre monnaie.
Cette pièce représente mille autres, plus communes. Seulement là n’est pas ce qui m’importe.
L’homme en question… Je sais qu’il s’agit de Toji.
Cette simple pensée me noue l’estomac mais je tente d’y faire abstraction. Nous avons bien mieux à faire. Bien plus important. Capital.
Levant la main, je m’apprête à frapper le verre pour le briser.
— Inutile, déclare-t-il. Si ce meuble a résisté à l’attaque, il doit être ensorcelé. Je vais mettre une pièce dans la bouche du dernier malheureux.
Je n’écoute que vaguement Toji lorsqu’il s’éloigne, mon regard irrémédiablement attiré par la courbe de cette lame, les motifs gravés dedans et la délicatesse de l’ouvrage. Je devine sa souplesse d’un seul coup d’œil, moi qui ne suis pourtant pas experte.
Enfin, je ne le suis pas dans cette vie. Seulement ma mémoire musculaire revient parfois et me rappelle combien j’avais l’habitude de manier ce genre d’outils.
Mon doigt retrace la courbe de l’arme.
— Viens, on doit se magner de trouver Megum…
Un son de cloche coupe la voix du noiraud. Nous deux nous figeons à celui-ci, échangeant un regard. Nous savons exactement ce qu’il signifie.
Quelqu’un vient de sonner l’alerte.
— Viens, faut vraiment se grouiller ! s’exclame-t-il en entrelaçant ses doigts aux miens.
Je n’ai le temps de le suivre que des hurlements retentissent, devant et derrière nous. Me tournant vers ses sources, je réalise avec horreur que ce couloir est desservi par deux escaliers et que des soldats arrivent droit sur nous.
Nous n’avons aucune idée de combien ils sont ainsi que de la magie dont ils disposent. Tout cela est bien trop inconscient.
— Ils sont là ! Megumi les a sentis ! retentit un soldat.
— Dépêchez-vous ! Il les veut morts !
— On se magne !
— Allez, les gars !
Toji se tend, me plaçant derrière lui afin de me protéger. Seulement, un escalier dessert de chaque côté de l’endroit où nous nous trouvons. Nous serons bientôt faits comme des rats.
Dos à dos, nous attendons.
— ILS SONT LA !
Au moment où ce hurlement retentit, une poignée d’hommes jaillissent de l’arcade menant au couloir. Déboulant devant moi, épées en main, ils me fusillent du regard.
Les vêtements maculés de sang et les cheveux coagulés de crasse, ils ne semblent pas en être à leur première bataille.
Seulement, celle-ci sera la dernière.
— Hé bien, hé bien… Qu’avons-nous là ? ricane une voix, dans mon dos, face à Toji.
— Chef, je dirais qu’il s’agit d’une chair fraiche de bien basse qualité, rétorque l’un de ceux qui me regardent.
Un frisson parcourt mes doigts. Point de peur. Plutôt quelque chose que je ne comprends pas, qui n’a rien à faire là, en cet instant. Pourtant, il s’agit d’une sensation bien familière.
De l’allégresse.
— Le chef les veut mort ? Mais si on veut s’amuser avec elle avant ?
— N’essayez même pas de la toucher, gronde Toji d’une voix d’outretombe, que je ne lui connais pas, comme ensorcelée.
— Oh, mais c’est qu’il sortirait les crocs, le vilain !
Ils s’approchent doucement et je sens le noiraud se tendre. Pourtant, je ne ressens point de peur. Seul un frisson me parcourt, courant le long de ma colonne.
M’exaltant.
— Et la mignonne ? Elle pourrait mordre, si je lui disais quelques mots magiques ?
Un ricanement me prend. Un rire sinistre que je ne me reconnais pas.
— Je ne sais pas ? Supplie-moi, on verra bien…
Ma main frappe le meuble ensorcelé qui se brise magiquement sous l’impact. Le verre éclate et je saisis les lames — mes lames — avant de me jeter sur eux dans un hurlement vengeur.
Mon sabre frappe le premier à la gorge et je plie les genoux pour éviter l’épée d’un autre. Mon pied frappe le tibia d’un troisième qui s’écroule au sol, aussitôt assommé par ma lame. Le premier se redresse et j’enroule mon bras autour de son cou, l’étranglant tandis que l’une de mes armes frappe le crâne de l’un et que sa jumelle neutralise un autre.
Dans un cri, je recule, évitant un coup. Un homme s’avance, maculé de sang, agitant son épée avec force. Je l’attaque, il pare mon coup. J’évite le sien en m’écroulant au sol et attrape son mollet, le tirant pour le faire tomber. Il se réceptionne en une pirouette et flanque son coude dans ma joue.
Du sang jaillit de ma bouche quand ma tête bascule. Cela me permet de voir le lâche qui m’attaquait, par derrière. Ma lame le trouve et je me retourne, revenant à mon ennemi.
Ce dernier hurle en fondant sur moi. Ma lame pare la sienne et l’autre perfore sa gorge. Un bruit de succion retentit et je sursaute à la vue du sang. Les yeux de l’homme s’écarquillent et il ouvre la bouche. Avant de retomber à genoux, mort.
Je crois que je ne voulais pas tuer. Mais mes réflexes ont pris le dessus.
Sombrement, je retire ma lame de son cou, essuyant de mon avant-bras le sang sur mon menton.
Brutalement, une ombre se découpe sur le mur. Je bascule en arrière et évite un coup de masse. Ma lame griffe un poignet et du sang gicle sur mon visage, brûlant.
Me retournant, ma lame caresse le ventre d’un avant de se planter dans la cuisse de l’autre. Du coin de l’œil, je vois Toji se pencher au sol, évitant un coup.
Aussitôt, je me jette sur lui.
Mon dos glisse sur le sien lorsque je passe par-dessus lui, atterrissant et l’autre côté de mon amant en un roulade sur le côté. Face à ses assaillants, j’en neutralise un avant de constater leur nombre.
Un rire franchit mes lèvres.
— Quelle feignasse, t’as une idée de combien j’en ai éliminé, moi ?
Il ricane.
— Je te signale que si ça va aussi lentement c’est parce qu’un incendie nous ferait repérer.
— Mais n’hésite pas ! je m’exclame en évitant une lame, frappant l’un au visage et transperçant la gorge d’un autre sans un regard.
Les remords seront pour plus tard.
— Attends, tu veux vraiment que je les brûle ? tonne-t-il quand, croisant mes lames, je cisaille un ennemi se présentant à moi.
— Ils ne brûleront pas mais s’en iront. Et le feu pourra mener les morts aux Enfers.
Ma lame en frappe un et tue un autre.
— De toute façon, tu peux contrôler le feu, non ? je perfore une épaule et cisaille une cuisse dans une pirouette.
— Je brûle ceux qui ont une pièce et fait un barrage derrière nous ?
Me retournant, je croise le regard complice de Toji qui vient de briser une nuque à main nue. Un sourire étire ses lèvres et les miennes l’imitent.
— Tu as tout compris.
Là-dessus, il plie les genoux, faisant une révérence qui lui permet d’esquiver un coup d’épée. Le dos courbé, il esquisse un clin d’œil en ma direction. Je souris.
Soudain, un sifflement dans mon dos. On m’attaque par-derrière.
Brutalement, je me retourne. Avant que je ne le réalise, ma lame est plantée dans la gorge du chef qui me fixe, les yeux écarquillés. Il n’aura même pas pu avoir un combat digne de ce nom contre moi.
Son corps tombe au sol quand j’ôte mon épée.
Mon regard s’attarde quelques instants sur le corps quand ce dernier se fait voir plus nettement. Ses contours m’apparaissent mieux ainsi que les détails de son visage ingrat, soudain illuminés d’une lueur rougeâtre.
Brutalement, je me redresse, contemplant le funeste spectacle autour de moi. Des violentes flammes grimpent, crépitantes. Majestueuses, elles s’élèvent en tournoyant presque, avalant les corps tandis que je frissonne.
— Tu as l’air surprise ?
Me retournant, je jette un regard malicieux à Toji.
Debout au milieu des flammes, ses immenses ailes formant une ombre dans son dos, il me fixe au-dessus de son rictus venimeux. Les bras écartés, il accueille le spectacle de ses propres pouvoirs avec fierté, l’exhibant à mes yeux.
— Je ne pensais pas que tu serais aussi expéditif…
Tous les ennemis ont fui ou sont neutralisés. Les flammes ont eu un effet radical. Bien plus que mes lames, pourtant particulièrement efficaces.
— Mais tu as formulé un désir…
Il me jauge.
— …Et tes désirs sont mes ordres, Ma Majesté.
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j'espère que ce chapitre
vous aura plu !
on passe dans l'action !
je vous préviens, les
prochains chapitres seront
intenses
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