𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟏𝟗






𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄  1 9













            DEBOUT DEVANT l’assemblée ahurie, je les observe avec dédain. Je ne peux contenir la condescendance m’habitant ni tenter de la dissimuler à leurs yeux. Pas lorsqu’ils se sont montré si odieux et abrutis.

— M… Mais… Pour qui se prend-t-elle ? s’exclame une voix dans l’assistance.

— Je me prends pour ce que je suis. Une druide. Votre dialogue avec les dieux.

— Un dialogue !? rugit un autre homme. Vous n’avez jamais rien fait pour nous ! Je ne sais exactement pour quelle raison vous en voulez tant à notre signe mais vous feriez mieux de faire attention…

            Son regard se noircit lorsqu’il penche la tête en avant, agressif.

— …Certains pourraient penser que vous nouer des liens étroits avec une catégorie de la population.

            Des murmures parcourent l’assistance. En effet, il est de coutume de se montrer particulièrement tendre à l’égard des cancers mais surtout de leur prêtresse, Lycus, afin d’éviter la possibilité qu’on les assimile aux sephtis. Car seuls eux nourrissent une haine viscérale à l’égard de cette femme et de ceux qui l’honorent.

            Alors, bien que la plupart des êtres désapprouvent ce qu’il s’est passé autrefois, le massacre qui a eu lieu, ils prennent soin de ne l’avouer qu’à mi-voix.

— Je noue des liens avec chaque catégorie de la population, je gronde. Je ne reconnais qu’un seul envoyé des dieux sur terre et il s’agit de notre impératrice !

            Ils se taisent.

— Je n’ai aucun compte à rendre aux prêtres et prêtresses, à l’instar de tous les druides. Pour vous, cancers, Lycus compte plus que moi. Tout comme aux yeux des Taureaux, le prêtre Hank a plus de valeur que n’importe quel druide. Seulement…

            Je pose la main sur ma poitrine.

— A mes yeux, vous et vos prêtres comptez autant les uns que les autres. Je ne fais aucune distinction entre vos signes, quoi que vous en pensiez et vous protège de la même façon.

            Je désigne les débris de la statue de glace éparpillés dans mon dos.

— Comment Artémis aurait pu accepter que vous honoriez sa représentante sur terre et non elle ? Jamais, dans l’histoire de notre panthéon, une prêtresse s’est permise de recevoir les offrandes d’une déesse à la place de cette dernière ! je m’exclame. Il s’agit-là d’une faute grave qui aurait engendré la colère d’une…

— Vous n’êtes qu’une druide ! rugit une autre femme. Vous êtes peut-être la personne la plus puissante de ce village mais Lycus vous surpasse ! Son autorité vaut bien plus que la vôtre et si elle décide de faire ériger cette statue, nul ne peut contester sa déc…

— Si. Moi, je le peux.

            Je sursaute presque en entendant la fermeté de cette voix. Son grain est si autoritaire que ses paroles résonnent toujours en mots apodictiques. Chaque vibration comminatoire de ses cordes vocales caresse l’individu faible se cachant en chacun de nous.

            Le duc Toji Fushiguro.

            La foule s’écarte sur son passage. A sa droite, Mélania se trouve, la main fermée sur son pommeau et sa silhouette dissimulée sous une cape d’ivoire. De l’autre côté, un homme au teint hâlé que je ne connais point observe avec attention la masse.

            Cependant, le regard smaragdin de Fushiguro, lui, ne trouve que ma personne. Malgré moi, je frissonne face à ses coruscantes iris.

— Ma chère, me salue-t-il devant la foule.

            Marchant jusqu’à la place, il grimpe sur l’esplanade. Puis, atteignant ma hauteur, il saisit ma main.

            Je l’observe avec toute l’animosité dont je suis capable, ne pouvant décemment l’insulter sans craindre représailles mais ne tolérant sa présence à mes côtés. Il semble saisir mon dilemme car un rictus malin étire ses lèvres.

            Celles-ci se posent sur le dos de ma main. Ses yeux ne quittent pas un instant les miens tandis qu’il embrasse mes métacarpes. Puis, il se redresse, se plaçant à côté de moi.

— Je sais que je ne vaux guère mieux que votre druide dans votre esprit. Le religieux passera toujours avant la politique pour les petits villageois que vous êtes, charrie-t-il avec condescendance.

            Je discerne les mâchoires se contractant dans l’assistance. Mais, aussi furieux soient-t-ils face au mépris du duc, ils ne peuvent assurément rien dire.

— Seulement, que vous le vouliez ou non, poursuit-t-il, la loi est dure mais c’est la loi. Dura lex sed lex. Et légalement, sur mes terres, les décisions de Lycus valent moins que les miennes.

            Un murmure réprobateur parcourt l’assistance. Je comprends bien à l’expression qu’affiche le duc qu’il ne pourrait être moins intéressé par les états d’âmes de ces villageois.

— Mettons que vous fassiez votre petite représentation puérile et fâchiez la déesse. Qui devra faire face à la vague de peste ? Tentez de parlementer avec les dieux ? Ou apaiser la sècheresse qui causera votre famine ?

            Il n’a pas tort.

            Soit, j’ai menti lorsque j’ai affirmé que je veillais sur tous les signes avec la même insistance. Cependant, la décision d’ériger une statue à la gloire de Lycus au lieu d’honorer Artémis pourrait réellement avoir des conséquences épouvantables sur notre région.

— Ce ne sera pas Lycus, affirme-t-il. Car Lycus parle pour les cancers auprès d’Artémis. Alors qu’il faut quelqu’un parlant au nom de vous tous auprès de tous les dieux, pour assurer qu’une telle situation ne se reproduira pas et que vous respectez tous les dieux.

— Alors quoi, ce sera vous ? raille une femme dans l’assistance. Tout le monde sait que vous êtes loin d’être pieux.

— Non, ce sera moi, je tonne.

            La loi et les écrits religieux se rejoignent sur un point précis. Les druides valent moins que les pensionnaires des temples qui elles-mêmes sont en-dessous des pythies qui sont juste derrière les prêtresses et prêtres ancestraux — quoi que certains reconnaissent davantage les pythies que ces derniers mais là se trouve un tout autre débat. Nous, nous ne sommes que le bas de la chaine alimentaire.

            Cependant, lorsque la colère des dieux s’abat sur un endroit, nous sommes ceux devant parlementer avec les déités. Les pensionnaires des temples sont au-dessus de nous car elles côtoient les prêtres et prêtresses mais elles restent de simples apprenties n’ayant pas assez de connaissances pour exercer. Les pythies dialoguent avec tous les dieux mais elles ne peuvent que transmettre leur message et en aucun cas négocier avec eux selon nos lois. Quant aux prêtres et prêtresses, ils ne représentent qu’une partie de la population chacun.

            Alors, aussi étrange cela puisse-t-il paraitre, les seuls à même de mener des négociations, dans ce cas de figure, sont les druides des villages touchés… Ou l’impératrice.

            Mais Egarca Evilans ne prendrait sûrement jamais de son précieux temps pour sauver un patelin de sa propre stupidité. Car nous attirons généralement tout seul la colère des dieux, nous payons notre idiotie.

— Vous ? répète une femme en me pointant du doigt.

— Et là est la raison pour laquelle je me range du côté de celle qui sera amenée à discuter avec les dieux si la situation dégénère.

            Là-dessus, il pose une main dans le bas de mon dos. M’attirant avec lui, nous commençons à marcher hors de l’estrade. Atteignant la hauteur de ses deux soldats, ces derniers nous emboitent le pas.

            Nous quittons la place du village en feignant de ne rien entendre des murmures réprobateurs.

— Je m’en fiche, je dirais à Lycus que la druide de notre village n’a jamais prêté attention à nous autres, cancers.

— Je vous le dis ! C’est une sephtis ! J’ai toujours été convaincu de cela ! C’est pour ça que je ne me fais pas soigner par elle.

            Je cesse de marcher. Le duc semble surpris. Levant la tête et humant l’air, je laisse un sourire étirer mes lèvres.

            Il est vrai que je soigne. Mais je ne suis pas médecin. Alors je ne suis pas tenue de respecter le secret médical.

— Je vous ai soigné, mon cher. Je n’ai même fait aucun commentaire sur le fait que vos pustules aux lèvres étaient les mêmes que ceux présents sur les parties génitales d’une femme qui n’est pas votre épouse et que j’avais soigné la veille. Son nom était Amanda, il me semble… Et elle était la demoiselle d’honneur de votre épouse à votre mariage, n’est-ce pas ?

            Je me tourne vers lui, observant ses yeux écarquillés.

— Dans tous les sens du terme, mon cher : surveillez votre langue.

            Là-dessus, je reprends ma route.

            Nul ne fait de commentaire sur le fait que cet homme soit un goujat. Leurs paroles ne concernent que ma bêtise et mon arrogance. Qu’importe.

— On dirait que votre cote de popularité vient de baisser, susurre le duc.

— Au contraire, monseigneur.

            Si les deux soldats nous encadrant n’ont aucune réaction, lui fronce les sourcils. J’ignore sa moue dubitative et demande simplement :

— Pourquoi être venu me voir ? Il me semblait pourtant avoir été particulièrement claire sur ce que vous m’inspiriez…

            Il ne répond point, bien qu’une ombre traverse ses traits lorsque je lui jette un coup d’œil.

— Je souhaitais m’entretenir avec vous de…

— Je suis surpris que vous m’ayez défendue devant Lycus, je le coupe.

            Je ne compte sûrement pas « m’entretenir » avec un tueur de masse. Car je sais qu’il compte discuter avec moi de l’Ange de la Mort et, à mon avis, ce dernier fait un grand bien à la communauté.

— Une vengeance d’amoureux, peut-être ? Aurait-t-elle eu l’outrecuidance de vous laisser tomber après que vous soyez allé la chercher dans les méandres des Enfers ? je le nargue.

— Je ne discuterais pas de cela avec vous.

            Je souris.

— Tant mieux. De mon côté, je compte ne discuter de rien avec vous. Cela devrait donc nous contenter.

            Là-dessus, je le dépasse, la tête haute. Il ne cherche pas à me rattraper mais je sens que son regard perce mon épaule avec ardeur.

— Je ne rentrerais pas chez moi avant d’avoir mes réponses.

— Alors faites construire un manoir ici car vous en aurez pour longtemps.

— Je suis du genre tenace.

— Pas autant que moi.

            Je sens que les prochaines semaines vont être particulièrement longes et éreintantes.



























voici le dix-neuvième chapitre
de cette fanfiction !

j'espère que ma semaine
d'absence n'aura pas eu
trop d'impact sur votre envie
de lire cette histoire !

à demain !

j'espère que ça vous a plu !
















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